Mais que s’est-il passé dans la tête de Marylène pour qu’elle se mette à frapper un soir son compagnon puis à récidiver chaque fois plus violemment ? Nicolas Robin signe un thriller psychologique extrêmement construit et fouillé.
Ce n’était sans doute pas son intention – il faudrait le lui demander – mais c’est un véritable thriller qu’a signé Nicolas Robin avec « La claque ». Ce romancier en avait-t-il d’ailleurs déjà écrit ? Non. Mais ses lecteurs ont bien repéré bien dans ses livres depuis son premier, « Roland est mort », par lequel il s’est immédiatement fait remarquer, une respiration sourde, un sous-texte d’inquiétude qui ne demandait jusqu’ici qu’à imploser pour de bon. C’est maintenant. Et cette claque nous laisse abasourdis, la chemise constellée de taches de sang, sans qu’on ait vu venir les coups, à chaque fois plus violents, plus ajustés, plus assassins.
Le sujet : un jeune couple s’est rencontré dans un bar latino. Jean-Michel travaille à la Défense dans l’immobilier. Marylène, qui est la mère d’un petit Antonin, est en charge du marketing dans une maison d’édition. Tous deux ont donc les moyens tout à fait suffisants pour partager une existence confortable. Ils ont trouvé tout naturel de vivre ensemble.
Un soir, Marylène, passablement claquée, sans jeu de mot, par sa journée, découvre que son pull en cachemire a rétréci au lavage alors que Jean-Mi avait « cru bien faire en programmant une lessive ». La toute première page donne le ton. C’est le fautif qui parle : « Tu le tenais délicatement, comme un petit chat mort. On aurait dit la fin du monde (…) tu m’as passé un savon dans la salle de bains : je n’étais qu’un tire au flanc, un égoïste qui ne comprenait pas qu’une responsable du marketing croulait sous le travail, qu’elle ne pouvait pas tout gérer à la maison. Le ménage, la lessive, le gosse. Un peu de soutien ne serait pas du luxe. Je t’ai priée de baisser ce doigt accusateur et de ne pas monter sur des grands chevaux. En réponse, ta main s’est abattue sur ma joue avec un bruit sec. Je me suis retrouvé un peu sonné, la mine déconfite devant la machine à laver, surpris de réaliser à quel point tu tenais à ce pull. »
C’est fou, non ? C’est fou, oui, ce que cette séquence porte en elle la chronique d’un effondrement annoncé. Et surtout une haine irréversible qui n’en finit pas de gonfler ses poumons. Nicolas Robin s’est attaché à donner la densité nécessaire à un récit bandé comme un arc. Ce n’est pas simplement une histoire avec un début, un milieu et une fin. Via sa victime lasse d’avoir la gueule cassée, Robin mène l’enquête, cherche à comprendre comment se tissent et s’autodétruisent des liens. Les personnages annexes jouent un rôle déterminant. Cette sœur Solange, par exemple, Missionnaire de la Charité qui a pris ses quartiers sur l’esplanade. Sans faire de prosélytisme, elle est toujours partante pour redonner un peu de profondeur à la vie des cols blancs pour qui le principal sens à la vie consiste à s’engouffrer dans les ascenseurs. Même réussite avec le portrait du cynique patron de Jean-Michel, prêt à tout pour faire fructifier les affaires de son agence.
Vient enfin le moment où il faut bien aller au fond de la blessure et chercher chez Marylène de quel drame intime elle est dépositaire. En surgira le personnage clé du livre. Le plus fort, c’est qu’entre cendriers qui volent et points de suture à répétition, « La claque » trouvera son salut (et le nôtre) dans un constant humanisme, aussiu discret que fervent dont on devine qu’il est le carburant d’un auteur profondément sensible. Une pure réussite.
« La Claque », de Nicolas Robin, éd. Anne Carrière, 252 pages, 19€