Lumière !

Et voilà, c’est parti. Premiers pas sur un chemin que je souhaite long, long comme lointain, long comme très loin, très loin comme horizons, plein de surprises et plein d’accueils, plein de nids pour faire des petits. J’aimerais y parler de littérature, et pas sans vous, mais le faire comme on regarde une peinture, une photo, avec chocs d’impressions sur pellicule sensible.

Ecrire comme on pense, voilà le bonheur, la fluidité qui fabrique les équilibres. Un naturel d’écrire. Et naître au printemps est une vraie promesse. Ecrire sans aucun souci de validation. Valider. Vous avez remarqué la sécheresse de ce mot, coup de tampon sur un formulaire ? Aujourd’hui, tout doit être validé. C’est même inscrit au front des bus : je monte, je valide. Mêmes pour les Invalides. Un jour, on  validera nos existences. Moi, maintenant, si on me valide, je descends. Je ne veux que des minutes de lumière en plus. 

Cet édito, relayé par une newsletter (je parle une novlangue qui m’échappe encore), gambadera donc dans la prairie des mots et de tout le plaisir qu’ils nous apportent. Je demanderai, c’est déjà commencé, à de prestigieux parrains et marraines, parraines et marins, du monde des livres et des arts, de se pencher sur les fonts baptismaux de cette aventure. Et vous, chères lectrices, chers lecteurs, êtes invités à venir barboter dans cette piscine chauffée pour un livre qui vous aura mis la tête, ou le cœur, les deux vont généralement bien ensemble, à l’envers.

Je ne sais pas si nous allons faire de grandes choses, le mot est un peu trop commun, un peu trop petit surtout, mais nous allons nous fabriquer des moments sympathiques, nourrissants, assez joyeux en définitive. Je dis ‘nous’ parce qu’on ne fait jamais rien pour soi, parce que vous, en plus d’envoyer des mots, des commentaires, ou simplement passer faire un tour, et moi en fabriquant cette modeste extension du domaine de la lutte (merci Michel Houellebecq), pour préserver l’essentielle présence des livres dans l’inconscient collectif, nous ne sommes que plus vivants, pour ne pas dire plus heureux, ensemble.  J’écoutais l’autre soir à la radio, sur France Culture, la cinéaste et scénariste Yolande Zauberman rappeler cette phrase de Spinoza, affirmant que la joie était un acte politique et que la tristesse était l’âme des tyrans. Moi qui me roule parfois dans la mélancolie comme un chien dans une charogne (mais pas forcément, il se roule aussi pour se gratter ou pour faire l’intéressant,je me demande, en ce qui me concerne, si ce n’est pas juste pour faire l’intéressant), ça m’a troublé. 

La tristesse, chante Léo Ferré, qui s’y connaissait aussi en mélancolie – sur chacune des deux, il a fait une chanson – c’est une flaque d’eau qui se prend pour la mer. Nous ne serons pas tristes et nous ne nous prendrons pas pour la mer quoique nous aurons sans doute l’impression d’y naviguer. Avez-vous remarqué, d’ailleurs, que les rayons des grandes bibliothèques construisent des océans verticaux ? Il suffit de les regarder d’en bas pour avoir le vertige des horizons.

Je vous écris ceci en écoutant les Grands motets de Jean-Philippe Rameau qui sont depuis plusieurs semaines mes compagnons de nuit. Sur mon bureau, dans un relief de lumière en plus, des piles et des rangs de livres. Il y a peu, Tiffany, qui travaille dans l’édition, m’a appris l’expression PAL : Piles à lire. Elle trouve ça bien moche, moi aussi. N’empêche, il y en a tant, de beaux et bons livres dans mes PAL. C’est fou, c’est impressionnant, la densité de talents que produit noir sur blanc ce pays. Et tout ceci dans une solitude de Vendée Globe toujours recommencée. Tout ceci dans ses tempêtes de silence qui sont la définition même de l’humilité. Non, non, humilité n’est pas un mot si transparent que ça ! En témoigne, justement, dans le portrait que fait de lui-même Philippe Sollers dans « Agent secret », publié au catalogue de cette formidable collection qu’est « Traits et portraits », animée par Colette Fellous (1), l’extrait d’une lettre de Dominique Rolin qui fut son amour. « L’écrivain se doit de rester pauvre en face des montagnes de  richesses qui lui sont proposées. Ni d’un côté ni de l’autre il y a demande, exigence. On n’a qu’à chercher aveuglément – mais tactiquement – la démarche musicale du récit. Le choc s’est produit au début. Après, il faut construire son modeste petit néant. » C’est assez lumineux, tout ça.

(1) Mercure de France, 197 pages, 18€

14 mars 2021, 22h58. 

Photo Philippe MATSAS

5 commentaire
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Commentaire

  • MOLKHOU

    3 mai 2021 at 8h59
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    J'opte pour la joie! Bravo Pierre! Soizic

  • Michou Rolland

    18 avril 2021 at 10h31
    Reply

    Quelle bonne idée ! Rien ne vaut un bon livre pour s'évader... Merci Pierre.

  • Detrez

    17 avril 2021 at 14h14
    Reply

    Merci pour cette belle initiative !!lire est pour moi une parenthèse,pas besoin de grand chose si ce n'est d avoir toujours un livre à lire […] En savoir plusMerci pour cette belle initiative !!lire est pour moi une parenthèse,pas besoin de grand chose si ce n'est d avoir toujours un livre à lire et une bonne librairie pas très loin de chez soi Read Less

  • Mireille POULAIN-GIORGI

    11 avril 2021 at 14h18
    Reply

    Oui. Il y a PAL ("bien moche") et TSUNDOKU (mot japonais qui exprime l'idée d'acheter et d'accumuler plus de livres qu'on ne pourra jamais […] En savoir plusOui. Il y a PAL ("bien moche") et TSUNDOKU (mot japonais qui exprime l'idée d'acheter et d'accumuler plus de livres qu'on ne pourra jamais en lire). Alors, vive le lumineux! :) Read Less

  • Lizé

    8 avril 2021 at 12h54
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    Bon vent ami

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