Pérégrin et gyrovague

Dans « Le Voyageur inachevé », Eric Poindron joue à colin-maillard dans les salles de son musée des Curiosités, imaginaire, mouvant, et sans cesse recommencé. C’est, au plein sens du terme, merveilleux.

Eric Poindron, grand, souriant, chauve et fumeur, n’est pas d’ici. Il n’est pas de là non plus. Et pas plus de nulle part. Il est de l’intérieur de lui-même et ses appartements, aux murs revêtus de tentures en tous genres, avec cette lumière mordorée et des ourlets d’ombre qui est celle des songes, hébergent des brassées de surprises, de fleurs carnivores amadouées, des histoires poinçonnées au virus de l’éternité et qui ont donc tout leur temps pour éclore. Eric Poindron n’a pas d’âge non plus, ou alors celui qu’il paraît avoir aujourd’hui et qui exactement identique à celui qu’il avait il y a vingt ans et très certainement qu’il aura dans trente ans. Lire une biographie d’Eric Poindron est un exercice aussi troublant qu’inutile. Elle se ratatine, s’étiole, au fur et à mesure qu’on la parcourt. Elle s’oublie de ligne en ligne, elle devient transparente et puis tchao bye bye, on ne sait plus ce qu’on a lu. J’en suis certain puis que je n’ai même pas essayé. A la place j’ai refeuilleté tout Lautréamont.

Mais je lis ses livres, qui sont ses gardes suisses devant les hautes portes de son Vatican personnel où la nuit est comme chez elle à essayer robe sur robe dans ses dressings de princesse. Et dans les livres d’Eric Poindron gigote la plus fascinante, la plus festive, la plus aristocrato-baroque des cours des miracles. Poindron, comme Paris, est une fête. Un voyage immobile qui fonctionne en coupe, par strates de rêves, avec des bruits de hard-musette, des arrangements de cymbales bouchées, des effluves de langueurs aux soupirs de tango : bref, un assortiment de sonorités lointaines et étouffées qui ne peuvent s’écouter et se goûter qu’en collant l’oreille aux portes. En tout cas, rien qui ne saurait tomber dans la gueule faussement ardente du moderne. « Je ne sais écrire et vivre qu’au passé ». Poindron cite le fraîchement regretté Gilles Lapouge : « Je crois que tous les hommes sont faits de même ; la première destination de leurs voyages est leur enfance. »

ERIC POINDRON
©Anne-Laure Buffet

Tout le monde ne peut pas connaître Eric Poindron pour la bonne raison que rien, même quand on le croise, que rien n’indique qu’il existe vraiment. Qu’il ne va pas disparaître comme d’un claquement du pouce de l’index. Il faudrait demander à son archipote Charlélie Couture si c’est déjà arrivé. En revanche, il y a bien quelqu’un aux manettes de la collection Curiosa et caetera, au Castor Astral : c’est lui. Il y a notamment publié, en 2017, le merveilleux (au plein sens du terme) « Comme un bal de fantômes ».  Il faut lire, page 148, en écho aux papillons de la couverture, « Silence d’été, battements de secrets ». Et tout le reste évidemment, à commencer par le début et ses « Jardins confidentiels ».

C’est encore au Castor Astral que Poindron publie « Le Voyageur inachevé ». On y voit la silhouette illustrée de l’auteur avancer à l’aveugle, un bandeau sur les yeux, dans un semis de galaxies. Suivons-le que les yeux fermés, seul moyen de visiter, de salle en salle, il y en a vingt-six, son musée particulier, intime et mouvant. « Comme il existe des portes derrière des portes, écrit-il, il existe des temps dérobés derrière le temps, et des vérités camouflées derrière la vérité. » Et d’ajouter : « L’écriture nocturne est cette aventure du tâtonnement. »

Cette onirique visite a bien été forgée, spécialement pour nous, dans un tissu des soies retroussées sur la fraîcheur des aubes ; grainé perle à perle dans l’engrenage d’une cotte de mailles astiquée de velours ; façonné d’images serties d’autres images, lesquelles n’ont jamais dit leur dernier mot. C’est un voyage palpitant de charme et de piments doux. On y croise du vrai et du faux, André Breton et des chimistes de l’âme, un fabricant d’une roue des livres, des mélancolies de machines à écrire dont Poindron a longtemps fait collection, des hommages aux grands explorateurs, des « colporteurs de solstices », des « bateleurs de frimas », les écrivains Pierre Michon et Pascal Quignard, et l’on y dort à l’«Auberge du Dragon volant ».

« La vie d’un lecteur est aussi celle d’un voyageur, et le journal d’un voyageur est aussi celui d’un lecteur. Pérégrin et gyrovague, je demeure », écrit-il encore.

Il y a des calendriers perpétuels. « Le Voyageur inachevé » est un rêve perpétuel.

« Le voyageur inachevé », de Eric Poindron, éd. Le Castor Astral, 234 pages, 16€

2 commentaire
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Commentaire

  • Francoise Granger

    3 juillet 2021 at 10h17
    Reply

    En total accord ! J'ai ce livre sous le coude (les autres aussi) pour rêver de temps à autre. La photo prise par Anne-Laure est […] En savoir plusEn total accord ! J'ai ce livre sous le coude (les autres aussi) pour rêver de temps à autre. La photo prise par Anne-Laure est superbe. Merci ! Read Less

  • Chèrel

    11 juin 2021 at 7h12
    Reply

    Tout Poindron est là ! Un électron libre... Pirate poète !

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