A l’occasion du bicentenaire de la mort du poète anglais John Keats (1795-1821), les éditions Poesis publient des extraits de sa correspondance et un choix de poèmes. Belle photo d’un ,jeune homme cerné par les tourments, sur pellicule ultrasensible.
L’année dernière, les éditions Poesis ont réédité, dans une édition revue et augmentée, une anthologie à valeur de « manifeste » intitulée ‘Habiter poétiquement le monde’ selon les mots en forme de viatique du poète allemand Friedrich Hölderlin. Dans le large éventail de voix qui constituent l’ouvrage, initialement paru en 2016 et récompensé d’un bel écho public et critique, figure naturellement celle de son très contemporain cadet, l’Anglais John Keats, décédé à Rome en février 1821 à l’âge de 26 ans. La maison, qui va son chemin en toute élégance depuis 2015, avec déjà une dizaine de parutions au compteur, a choisi de patienter jusqu’à l’automne pour marquer le coup de ce bicentenaire. L’automne va d’autant mieux à l’éternellement jeune Keats qu’il fit à l’époque un carton avec l’Ode qu’il lui consacra.
Notons toutefois que de son vivant- c’est dûment rappelé dans l’avant-propos de Frédéric Brun, fondateur de Poesis et concepteur du recueil – la trajectoire de John ne fut pas un court fleuve tranquille. La haute estime qu’il portait à son art; son regret, entretenu avec une culpabilité régulière et toujours plus appuyée, de ne pas être « glorieux »; l’animosité que lui vouait la bergerie romantique, une étiquette qu’il rechignait franchement à partager; la tuberculose qui l’attendait au premier tournant; les critiques salées de la presse (on reprochait à sa poésie de « manquer de virilité »); ses constants problèmes de sous (à la mort de sa mère, de tuberculose elle aussi, sa part d’héritage lui échappa); et sa propre radicalité portée comme une croix, n’en jetons plus, tout cela fait beaucoup de point-virgule alignés et pesait sacrément lourd dans la sac. Mais on est poète ou on ne l’est pas et Keats entendait l’être à 300%. Mettons 4. D’une certaine manière, il s’est donné à sa passion comme d’autres se donnent au Christ. Sa fiancée Fanny Browne avait une concurrente de taille qui mettait sous le boisseau tout espoir de développements familiaux.
N’empêche, Keats aussi, comme Novalis, comme Shelley, avait la ferme envie d’ «habiter poétiquement le monde » et, on pardonnera cette transitive audace, de le « voyager » pour tenter d’en sublimer par les mots le spectacle de la nature. Comme on l’a deviné un peu plus haut, il n’avait pas son pareil ensuite pour se dénigrer dans les grandes largeurs. Résumons son mantra : « c’est nul, chui nul, j’y arrive pas. » Au final, la postérité est là pour affirmer qu’il ne s’en sortait pas si mal.
Enrichi de gravures, d’une photographie de sa tombe, d’une huile sur toile représentant l’intéressé et signée William Hilton – le tableau est exposé à la National Gallery Portrait de Londres – cette approche de l’un des principaux princes des poètes se décline, dans la traduction de Thierry Gillyboeuf et Cécile A. Holdban, en deux parties : un choix de sa correspondance et notamment des lettres à Fanny, un autre de ses poèmes avec plongées en apnée dans une mélancolie féroce, le tout contrebalancé par des salves quasi mystiques d’ « allégresse » au contact des manifestations de la nature. Ah ! La poésie de la terre s’est bien gardée de mourir pour ce brave garçon. On se demande même si elle n’a pas fait tout ce qu’elle a pu pour le garder en vie. On s’en convaincra par ricochets permanents, et notamment l’extrait de l’un se ses plus célèbres poèmes, « Endymion » (1817). Mais bon, tout ne peut être qu’à la joie. La damnation rôde. Les ténèbres patientent dans l’antichambre. Il y a ce poème incroyable, « Pourquoi ai-je ri ce soir ? » que, si d’aventure il lui tomba entre les mains, un Baudelaire, en fut très certainement touché:
« Pourquoi ai-je ri ? Je sais le bail de mon Etre,
Mon imagination se déploie vers des félicités extrêmes ;
Pourtant je voudrais ce minuit même cesser,
Et voir tous les étendards criards du monde en lambeaux ;
Vers, Renom et Beauté sont certes intenses,
Mais la mort est plus intense- la Mort est la plus haute récompense de la Vie.”
A part ça, ce garçon ne se voulait pas romantique ?
Il charriait un peu, non ?
« La poésie de la terre ne meurt jamais », de John Keats, éd. Poesis, 122 pages, 16€
Commentaire
Cécile A Holdban
Merci pour cet article qui donne un bel avant-goût ! petite précision, le patronyme du traducteur de la correspondance s'écrit Gillyboeuf (pas Gilliboeuf )
Pierre Vavasseur
to Cécile A Holdban
Oups! C'est corrigé, Cécile! Belle nuit! PIerre