Atmosphère, atmosphère l’autre soir au 36 rue du Bastion, désormais siège de la Direction de la Police Judiciaire. On y remettait en présence du préfet de police, du patron de la PJ et d’une brochette de grand(e)s flics de choc, le 79eme Prix du Quai du des Orfèvres parrainé cette année par un ancien de la maison, l’acteur et cinéaste Olivier Marchal.
Il n’y a que deux numéros rue du Bastion dans le 17eme et arrondissement de Paris et ils sont plutôt éloignés l’un de l’autre : le 6, siège du Tribunal d’Instance et le 36, désormais symbolique héritier de la mythique adresse du Quai des Orfèvres. C’est donc, dans ce tout autre décor à deux pas du métro Porte de Clichy, celui du Paris de demain – un natif du quartier s’y croirait transporté sur la lune – que la Direction de la Police Judiciaire a installé ses pénates. La nuit, une décorative pluie verticale de néons suggère que derrière les étages vitrés les fins limiers travaillent jusqu’à point d’heure pour faire toute la lumière.
Le 36 de l’Ile de la Cité n’est pas complètement désertée. Elle est toujours occupée par la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI) pour des motifs de meilleure efficacité d’intervention. Ce soir-là, après avoir souhaité bonne chance au chauffeur de taxi lui-même un tantinet déboussolé par les mutations architecturales de Paname, je me présente bardé de ma carte de presse, de ma carte d’identité, de mon livret de famille et d’un extrait vierge de mon casier judiciaire devant les portiques de sécurité. Certes, je suis venu pour la remise du 79eme Prix du Quai des Orfèvres qui récompense, sous bannière des éditions Fayard, un auteur de polar, mais on ne sait jamais. Il ne faudrait pas que mon passé de criminel ressurgisse.
Dans ce cas je ne veux pas d’ennuis. J’avouerai sans résistance, libérerai ma conscience. Oui, j’ai volé tout Boris Vian en 10/18 à la Maison de la Presse de Chalon-sur-Saône, 71, Saône-et-Loire, quand j’avais 16 ans mais il y a prescription, non ? Je suis prêt à rendre les volumes. Il me faut juste les retrouver dans mes bibliothèques rangées en quintuples files. Mais les portiques sont désactivés. On me laisse passer entre deux rangées de sourires grands comme des menottes ouvertes dont on aurait paumé les clefs. Qu’est-ce-que c’est que ce traquenard à l’envers ?
On m’escorte jusqu’à la salle Bertillon, du nom d’Alphonse Bertillon, criminologue et anthropologue français (1853-1914), pionnier de l’identité judiciaire. Je lirai sur lui qu’il s’est pris les pieds dans le tapis sur l’affaire Dreyfus mais ne revenons pas là-dessus. Aux murs, une quarantaine de toiles reproduisent chacune un décor du 36 originel : une cour, un bureau, un escalier…Une foule d’invités déjà sur zone est infiltrée de grands flics, les nouveaux et leurs mentors. J’arrive trop tard pour le concert du quintette à vent de la Musique des Gardiens de la Paix de la Préfecture de Police. Ont-ils joué Mélodie en sous-sol ?
Sur l’estrade, Il y a un type en jean avec une gueule concassée de truand que tout le monde reconnaît. C’est Olivier Marchal, acteur et cinéaste. Il est le parrain de cette édition. Il y a quarante-trois ans, il passait son concours d’inspecteur ; et comme la police mène à tout à condition d’en sortir, il est devenu saltimbanque, acteur et cinéaste. « Bastion 36 », son nouveau film en qualité de réalisateur, sortira début 2025. « Tu es notre plus fidèle déserteur », observera le Directeur de la P.J., Fabrice Gardon. Il s’en trouve un autre sur l’estrade où le prestigieux aréopage policier entoure son préfet, Laurent Nunez.
Ex-capitaine de police judiciaire en Seine-Saint-Denis, Olivier Norek a lui aussi quitté la grande maison pour celles de l’édition. Il dégainait des polars jusqu’à ces « Guerriers de l’hiver » (1), l’un des grands succès de la rentrée littéraire. L’écrivain a figuré sur la première liste des Goncourt, décroché le prix Giono et raté d’une voix, le Renaudot. L’intrigue puise dans l’exploit, au début de la seconde guerre mondiale, d’une Finlande capable d’en remontrer à l’ours russe. Son personnage principal sait résister des heures, par moins cinquante degrés, immobile, couché dans la neige. D’une certaine façon, Norek ne fait au fond qu’apporter une variation à son œuvre. Après le noir glaçant, le blanc glacé.
Les jurés, magistrats, policiers, journalistes, du Prix du Quai des orfèvres, sont au nombre de vingt-deux, ce qui ne surprendra personne. Leur jugement repose évidemment sur la qualité de l’écriture mais aussi la vraisemblance générale, scientifique et judiciaire « dans le respect des procédures ». Les manuscrits sont anonymes. Ils ont élu « Post mortem », un premier roman signé Olivier Tournut (2).
Ce dernier exerce les fonctions de secrétaire général de d’Autorité nationale des Jeux : sa P.J (Police des jeux) à lui en quelque sorte. Dans « Post mortem », mené par un duo féminin de choc, les Goncourt montrent aussi leur nez mais ce ne sont pas les mêmes. Surtout, Van Gogh est de la partie.
Notons que si le peintre s’est coupé l’oreille, notre primo-romancier n’y est pas allé mollo avec les mutilations. Jugeant que le tableau était sang pour sang réussi, le judiciaire jury a trouvé judicieux de trancher en sa faveur. Quant à Olivier Tournut, il a braqué la banque : le Prix du Quai des Orfèvres dépasse généralement les cent- mille exemplaires. Alors comme on dit dans le monde des jeux : bingo
(1) Ed. Michel Lafon
(2) éd. Fayard, 404 pages, 9,90€