Il pèse son poids et vaut son prix. “Je t’aime”, de Dominique Marny, luxueux nouvel ouvrage superbement illustré publié par les Editions des Saints Pères, est une déclaration d’amour aux saisons de l’amour. Laissez-vous guider dans ce jardin de mots et d’images. Attention danger! Car vous en tomberez amoureux.
Ne vous attendez à aucune surprise avec ce qui va suivre : l’ amour, l’amour rare, absolu, qui sait qu’il n’y a pas de beauté sans blessure, ni de bonheur sans combat, ne sort jamais vêtu qu’en rouge carmin. Et si l’amour devait être un livre, ce qui est précisément le cas ici, n’allons pas nous étonner non plus qu’il soit vêtu d’un manteau pourpre solidement armuré : le cœur y est à protéger.
Le grain de la couverture est incrusté d’une rose aux reflets d’or. L’amour aussi a ses armoiries. Et pour faire bonne mesure le tout est sous coffret. Il représente ici un dessin de Jean Cocteau où se fondent en un seul chemin les contours de deux visages. Au dos, s’invente une constellation d’étoiles qui vont ensemble en gambadant.
Fondées par Jessica Nelson et Nicolas Tretiakow, les éditions des Saints Pères, à retrouver ailleurs dans ces colonnes, représentent au sein du paysage éditorial français une exception photosensible à la lecture et au toucher. La maison publie en majorité les fac-similés de grands textes de la littérature. C’est, en pleins et en déliés, en pattes de mouche et en ratures, du passé retrouvé comme dirait Marcel Proust. Grand format, papier noblissime, étui fabriqué à la main, chaque ouvrage pèse son poids et vaut son prix.
L’amour, dit-on, c’est regarder ensemble dans la même direction. La technique n’est pas mauvaise mais imaginons qu’il faille le portraitiser? Petite-nièce de Jean Cocteau, Dominique Marny qui est à l’origine de ce merveilleux volume où les fac-similés font cette fois figure d’exception (le manuscrit du poème Alcools de Guillaume Apollinaire, un passage d’une lettre de Victor Hugo à Juliette Drouet…) propose pour le croiser, le frôler, le flairer, de regarder dans toutes les directions. Celles des arts: peinture, dessin, sculpture, photographie, séquence de film, tatouage… L’amour est un a(rt)ssortiment.
Et de mots bien-sûr. “Lorsqu’on aime, on a besoin de l’avouer, écrit l’auteure. Dans un murmure, à voix haute, avec fougue ou timidité.” En formule concentrée, c’est de la punch-line. Lisez plutôt.
“Sans toi, je serais passé à côté de moi.” René de Obaldia.
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“Mon endroit préféré au monde est à côté de toi.
Quand je t’ai vu, j’avais peur de te rencontrer.
Quand je t’ai rencontré, j’avais peur de t’embrasser.
Quand je t’ai embrassé,
J’avais peur de t’aimer.
Maintenant que je t’aime,
J’ai peur de te perdre.” Elizabeth Barrett Browning
“Quand je t’ai vue,
Je suis tombé amoureux,
Et tu as souri
Parce que tu savais. “Arrigo Boito
“Le plus bel instant de l’amour,
Le seul qui nous laisse vraiment ivres,
C’est ce prélude,
Cet appareillage:
Le baiser.” Paul Géraldy
Sans compter Guy de Maupassant:
“Le baiser est la plus sûre façon de se taire en disant tout”.
Notez toutefois, chère Dominique, qu’en l’hébergeant dans votre ouvrage, vous faites une faveur à l’auteur de “Bel ami”. Car ce filou de Maupassant, bon client de la maison Tellier, ne détestait rien moins que l’amour au profit de son obsession du sexe. Maupassant? Oui mais passons.
Pour concevoir un tel objet, l’écrivaine et essayiste a confié la direction artistique à Nicolas Patrzinski. Tous deux ont opté pour une promenade dans un jardin enchanté, de l’antiquité à nos jours et d’étape en étape. De belvédère en roseraie, de galerie en colonnade, l’amour y est un calendrier (perpétuel) des saisons du coeur. Elles sont dix: rêver, séduire, consentir, embrasser, avouer, désirer, souffrir, correspondre, promettre, partager.
Autant de thèmes où se réfugient par affinités les illustrations empruntées à l’histoire de l’art (Delphine Piccoli s’est chargée du nécessaire travail de restauration de certaines oeuvres). Viennent s’y nicher quelque talents neufs à l’image de Nicolas Dax.
Pour lancer cette entreprise d’exception tirée à 999 exemplaires numérotés, l’un destiné à la Bibliothèque Nationale et huit dits ‘de chapelle‘ selon un très ancien privilège accordé aux typographes, un écrin s’imposait. Ses saints pères et mères se sont tout naturellement transportés du côté du Louvre, place André Malraux, sous la sublime verrière de l’hôtel du même nom et dont un plafond peint dissimulé à l’Occupant lors de la Seconde guerre mondiale sera bientôt rendu aux regards.
Gautier Py, Directeur général de ce palace cinq étoiles, a rappelé qu’en cet endroit ont fait escale bien des grands oiseaux des arts et de la littérature. Les banquettes pourpre sont faites pour y prononcer ces deux mots… Ah mais non! Je vous laisse les murmurer vous-même. Et puisqu’en amour on ne compte pas, imaginer la partition de leur intime musique de chambre.
“Je t’aime”, de Dominique Marny, éditions des Saints Pères, 312 pages, 200€