Vœux est un mot que je n’aime pas. A peine prononcé déjà enfui. Un pet sur une toile cirée. Je lui ai ajouté les deux premières syllabes de mon nom. Vavavoeux, comme Vavavoum, ça fait un petit bruit de moteur, parfait pour démarrer l’année. Les miens sont de vous souhaiter chaque jour un peu de lumière en plus. Et pas seulement jusqu’au solstice d’été. Des vœux, des vœux, oui mais des Vavavoeux ! Le tout avec l’humour d’un invité d’honneur qui n’est même pas au courant…
Les années neuves sont comme le rayon vert des horizons marins. Nous cherchons dans un transparent frémissement de rideau quelque chose d’un peu merveilleux, au premier sens du mot. Alors plutôt qu’espérer trop, à tort et à travers, j’aime jouer à remuer du bout du doigt, comme des perles fantaisie dans une assiette, quelques remarques, quelques agacements, quelques pensées, quelques questions. Ca ne fera pas avancer le Schmilblick mais cela a à mes humbles yeux une certaine importance, comme le chante Reggiani dans “Arthur… où t’as mis le corps?”, un texte de Boris Vian.
POURQUOI FERIE? Je me suis toujours interrogé à ce sujet : pourquoi le 1er de l’an est-il férié? C’est un très mauvais signe. Il conviendrait plutôt de faire rutiler nos bonnes volontés. Travailler en chantant. Tout de suite se remonter les manches avec, le soir, des heures supplémentaires. Ca aurait une autre gueule et le lendemain on mériterait un jour de repos. Là, oui, ce serait logique.
SIMPLICIFIONS ! Une autre question me revient souvient. Pourquoi dit-on désormais : expliciter, investiguer, solutionner, complexifier ? On dirait qu’on creuse un sous-sol, une cave, dans le mot. Pour y ranger quoi ? Notre incapacité à dire clairement les choses ? Pourquoi ne pas simplicifier tout ça?
DESCENDEZ, ON VOUS DEMANDE. Je ne cesse de m’étonner de continuer à lire sur les affiches de spectacles, mais aussi en littérature ou en BD, l’expression suivante : « X au sommet de son art. » Cela signifie donc qu’il (ou elle) n’a plus qu’à redescendre, qu’il (ou elle) ne fera jamais aussi bien et surtout pas mieux ? Tu parles d’un compliment.
OH, CAROLE ! En septembre dernier, j’ai abandonné la lecture du roman de Carole Martinez, “Dors ton sommeil de brute”, pour un détail. Une peccadille. Le mot débouler. C’est d’une laideur… ! Il a même déboulé deux fois. Et peut-être plus, je n’en sais rien puisque je n’ai pas continué. Il y a des vocables qui vous tuent le style comme une brûlure de cigarette dans un tissu précieux.
AU DEGOT(T)EZ MOI CA. Je constate d’ailleurs, au fil de mes lectures, le retour de dégoter, avec un t ou deux. Pas mieux. Imagine-t-on Sylvain Tesson écrire : « on a fini par dégoter (ou dégotter) les traces de la panthère des neiges »?
STYLE. Le numéro 3146 du Nouvel Obs, soit celui du 6 au 15 janvier, s’interroge, sous la plume de Didier Jacob, sur le style en littérature. Cette initiative repose sur une inquiétude : celle que le style perde peu à peu son caractère sacré. Qu’il tourne au colifichet suranné. Au superfétatoire élitiste. Au truc de vieux con, de boomer. Désormais, vive le « propret », le standard, la plate forme. Il faudra que je refouille dans le Journal de Jules Renard. Ce serait bien le diable qu’il ne s’y trouve pas un mot ou deux à ce sujet. Sinon, j’ai lu quelque part, et toujours retenu, que Céline avait cette formule : « le style, c’est le mot qu’on n’attend pas ».
STYLE BIS. “Ton style, c’est ton cul” chantait Ferré en concluant par “Ton style, c’est ton coeur”. Il existe sur cette Terre un merveilleux interprète de l’auteur de “La Mémoire et la mer”. Il se nomme Emmanuel Depoix et je suis fier de me sentir son ami. Il se produisait ces derniers mois au théâtre Essaïon. En mars, il reviendra pour quatre dates non encore définies.
Le récital s’appelle “Ferré, tu connais?” Renseignez-vous. Vous n’oublierez pas ces instants de temps suspendu. Pour info, Depoix défend aussi la mémoire du grand Bernard Dimey
A VOITURE. Faut-il rappeler qu’on ne circule pas en vélo mais à vélo ? Une publicité à la radio du ministère de la Santé je crois commettait encore récemment cette faute. La prochaine fois, circulons donc en cheval ou à voiture. Le « en » suggère que quelque chose nous entoure, nous protège. Il faut être un fameux contorsionniste pour rouler dans son vélo. Sinon, en voiture à cheval, oui, c’est correct. En chaise à porteur aussi. Mais il n’y en a plus guère, sinon au cinéma.
LUMINEUX. A propos de vélo, on m’assure que le clignotant arrière sur casque est désormais passible d’amende. Qui a eu cette idée lumineuse derrière la tête ?
NAVIGATION. Le Vendée Globe verra cette nuit, au tout petit jour, arriver en vainqueur Charlie Dalin aux Sables d’Olonne. Au moins sur un point, ce type d’exploit, avec tout ce qu’il comporte de puissance de la solitude, de pétole, de tempêtes, d’objets flottants non identifiés, d’avaries diverses et de possibilités de naufrage, est une illustration d’une autre navigation : l’écriture d’un roman. A cette double différence près : il n’y a personne au départ et, à quelques exceptions près, pas grand monde à l’arrivée.
CONTINUER A NAITRE. Le 18 janvier de l’année 2024, Alexandre Jardin publiait « Faire lire » dans la collection « Pour les Nuls ». Ce livre de bonne taille, clignotant comme une lumière sur le casque d’un cycliste, dans son gilet jaune et noir, m’a fait de l’œil chaque jour dans mon capharnaüm livresque.
« Quand est-ce que tu écris un mot sur moi ? » Je le fais un an plus tard. Alexandre ne m’en voudra pas. Il y a dans ce volume, qui attrape le sujet du bonheur de lire, y compris ce qu’il y a fuir, par toutes les queues du mickey, une phrase magnifique : « Lire, ce n’est pas être, c’est continuer à naître. » Et cette autre, en quatrième de couverture : « Lire et faire lire, c’est réparer notre époque, car aucune autre médecine n’est plus efficace pour rendre heureux. »
Ed. Pour les Nuls, 318 pages, 24,95€
CAMUS PARMI NOUS. Les éditions Gallimard ont publié en novembre le quatrième volet, resté inédit depuis la mort accidentelle d’Albert Camus, le 3 janvier 1960, de ses « Actuelles ». Journal vigie de l’état du monde, édité en format de poche dans la collection blanche.
Ouvrir à n’importe quelle page ce volume, c’est plonger dans celui d’aujourd’hui. Rien de plus actuel que ces actuelles.
« Actuelles IV – Face au tragique de l’histoire », édition établie, présentée et annotée par Catherine Camus et Vincent Duclert, 496 pages, 25€Ed. Gallimard, 496 pages, 25€
DEPENSE. On entend souvent cette formule : « ses mots ont dépassé sa pensée ». Des écrivains qui ont consacré leur œuvre à écrire sur ce qu’ils ont vécu, doit-on dire : ses mots ont dépensé son passé ?
“Excusez cette longue lettre, disait Blaise Pascal à son correspondant, je n’ai pas eu le temps de faire court.” Le théâtre du Marais propose à son tour – c’est une idée qui court depuis quelques années sur les scènes, une formule concentrée de “Madame Bovary”, de Gustave Flaubert. J’aime bien le “en plus drôle”. J’avoue que c’est tentant. La programmation de ce nid de théâtre est réputée de bonne tenue. A propos, savez-vous que la tétralogie de la Walkyrie de Richard Wagner ne dure que quatre minutes dans le résumé qu’en fait le pianiste Vincent Delbushaye? Consultez votre téléphone.
GUEULE (Faire la). Je dois refaire mon passeport et cette question se repose à moi. Pourquoi est-il interdit de sourire sur les photos des pièces d’identité ? Le sourire est-il assimilé à une provocation ?
SOURIONS TOUT DE MEME à cette bonne nouvelle. J’ai reçu cette semaine des ouvrages provenant de deux toutes nouvelles maisons d’édition : « Le soir venu » et « L’arbre qui marche ». Vavavoeux de longue vie.
LE CAS ECHEANT. Si, le cas échéant, vous passez à Nantes, allez faire un tour au 15 de la rue des Vieilles Douves, à l’adresse de « L’Atalante », une librairie spécialisée dans la littérature de SF Fantasy. L’endroit est aussi le principal diffuseur d’un énergumène dont on ne sait rien, sinon qu’il se fait appeler Cobie, le nom de son chien, et ne court pas après la publicité. Il s’est créé un label, « Le cas échéant », sous lequel il diffuse des cartes postales, celles-là mêmes qui m’attirèrent l’œil en vitrine.
Quelques-unes en sont le témoignage dans cet édito. Elles sont aussi réunies dans un album tout à fait artisanal. Son titre : « et dire qu’on tue des arbres pour imprimer ces conneries ». Sous-titre : « et dire qu’en les lisant, tu deviens complice ». Je ne connais pas Cobie. Nous ne nous sommes jamais vus. Il ne sait pas que je l’ai croisé par hasard via une vitrine de librairie. Je le remercie d’illustrer en dépit de son plein gré cet édito à ma façon. Et par conséquent un peu à la sienne aussi.