Dans l’autobiographique « Eteindre le soleil », Ariane Bois évoque la capacité de certains êtres à jeter leurs filets sur les âmes devenues fragiles. Ici, son père, deux fois frappé par le destin, rendu à l’emprise d’une femme-poison qui le sépare de ceux qui l’aiment.
Il viendra un jour que nous ne verrons pas, en tout cas pas tout de suite, où le soleil s’éteindra de lui-même. Et c’est un titre courageux qu’a choisi l’écrivaine Ariane Bois pour ce livre, le second intimement biographique, parmi une œuvre aux nombreux reflets, depuis qu’elle dédia son premier livre, « Et le jour pour eux sera comme la nuit », en 2009, au suicide de son frère. Courageux par ce que laissent clairement (le terme est mal choisi) entendre sur un final inexorable qui ne se réchauffe à la lumière que par dans la toute dernière phrase. C’est une lumière vive et franche et sa majesté l’astre solaire, comme dit Brassens, en a encore sous la pédale.
Pour adoucir les malheurs, réparer les déceptions, les incompréhensions, les injustices, il est nécessaire de les ramener au jour pour tenter d’en expliquer la nuit. L’écriture en l’un des moyens les plus efficaces. Elle incise et elle recoud. Elle a le temps pour elle. Son rôle n’est cependant pas de tout expliquer. Ainsi de ce qui guida Edith, la dernière compagne du père d’Ariane, dépeinte comme un oiseau sec, bec et serres, à n’aimer rien ni personne. Au point qu’on ne sait même pas si elle l’aimait lui. Ni par quelle absence de miracle elle avait mis en cage un homme jusqu’alors épris de liberté. Mais doublement et tragiquement blessé : par la mort de son fils d’abord, puis guère plus tard, dans un accident d’hélicoptère, celle de son épouse adorée, grande-reporter, bouffeuse de vie et d’action, reine d’amour et de beauté. L’équation maudite de ce mystère hante évidemment le récit de la romancière dans lequel se fraie à plusieurs reprises un mot antinomique à l’atmosphère générale. Le verbe virevolter. Tous les écrivains ont un mot fétiche qui joue à cache-cache avec eux. Celui-ci a la légèreté de l’insouciance. Mais c’est en papillon noir, en esprit cruel, qu’il revient ici danser.
Voilà donc un homme brillant, charismatique, aux faux-airs d’Yves Montand, toujours impatient d’aller, comme son épouse, visiter le monde, de s’en enrichir, d’y renouveler sa sève de vie. Jusqu’au jour où « la chasse au veufs », annonce-t-il, est ouverte. Les prétendantes défilent sous une plume éphémèrement redevenue mutine. Mais la chasseresse Edith, ressuscitée d’un passé où l’un et l’autre s’étaient croisés, emporte la mise. S’ensuivent toutes sortes de méchancetés à l’égard des enfants, de mesquineries affirmées – l’improbable « comédie sinistre » d’une soirée de Noël – et cet attentat qui survient et que l’on ne dira pas ici : acte affirmé de destruction qui fait enfin perdre totalement à Ariane la généreuse patience dont elle s’évertuait à faire preuve à l’égard de cette femme vipère.
« Eteindre le soleil » est un de ces livres qui cognent à la porte close de ces mystères enfermés en eux-mêmes dont on ne peut rien attendre, rien comprendre. De quel marbre de solitude et d’égoïsme est faite Edith ? D’où viennent ces âmes aux lèvres serrées comme deux lames jointes ? Que cherchent-elles à réparer, ou, au contraire à détruire encore plus en elles ? Et quel genre de remède son père a-t-il pu aller y puiser, indifférent à ce qu’il fait vivre à ceux qui l’aiment ? Combien, enfin, de familles seront-elles sensibles et bouleversées par ce témoignage ? Car on n’imagine malheureusement pas qu’une telle énigme tourne en planète solitaire autour du soleil.
« Eteindre le soleil », de Ariane Bois, éd. Plon, 174 pages, 18€