C’EST LÉO QU’IL RESSUSCITE

Il est sans doute, par sa présence et son interprétation, le plus grand des passeurs du répertoire de Léo Ferré. Emmanuel Depoix se produira les 7, 8, 14 et 15 mars au théâtre Essaïon dans le 4e arrondissement de Paris. Puis y reviendra en juillet. L’assurance d’un voyage intense et magique dans un espace-temps chargé de rage et de beauté.

Chanter Léo Ferré lorsqu’on a dans la présence, dans la voix, dans le visage et cette façon vibratile de plisser les yeux sous les sunlights, comme un air de famille avec l’intéressé, réclame un surcroît de talent. A savoir être un peu lui sans jamais s’y efforcer, chercher la faille dans la mémoire visuelle et sonore du passé pour mieux s’y faufiler. Interpréter les grands disparus du répertoire ne consiste pas à leur ressembler pour leur redonner vie mais à leur écrire une lettre poste restante, naviguer vers eux en solitaire puis se retrouver tout étourdi, une fois de retour au port, d’en être revenu. Voilà à quoi parvient Emmanuel Depoix qui a glissé un jour, ou à certaine heure pâle d’une nuit, le grand Léo dans ses bagages comme on emporte pour la vie un livre en voyage.

Par delà les temps dépassés, Emmanuel et Léo font route ensemble

Depuis, par-delà les temps dépassés, Léo et lui font route ensemble. Il y a parfois des creux de mer, c’est la vie, la vie d’artiste, qui veut ça, avec ses replis, ses désordres, ses chagrins, on part loin en soi-même, ou ailleurs ce qui revient au même, mais l’autre sait bien que l’un veille et vice-versa. Et puis l’on se retrouve sans avoir vieilli, le cœur toujours aussi neuf, la rage et la douceur intactes. La voix sait encore grimper, s’enfler, dévaler l’émotion, sauter à pieds joints comme une mutine gamine dans les flaques de la poésie. Longer, aussi, le texte et la mélodie, la gorge au vent, comme un sentier de bord de mer. Et s’arranger avec l’ombre.

Richard! Reviens! Une dernière! Pour la route!

Porté par la compagnie des Rescapées, Depoix sait tellement bien faire ça. Servir cette ferréiste poésie de nuit, sœur de solitude aux bijoux mordorés ; s’envelopper de ce manteau qui luit de sa doublure et dont il n’a pas son pareil pour nous en faire partager les étoiles. Son « Richard » vibre de tout le corps avant de s’éteindre en fuite et en écho par l’escalier de secours. Et l’anarchie bien sûr, cette philosophie des cœurs blessés mais justes, ce sentier de traverse qui flambe à la godille, en légitime quête de sens. Elle est à la fête dans ce « Léo Ferré, tu connais ? » qui s’ébat tout le long en ruades, en shots de liberté.

Emmanuel entouré de la bande des Rescapées, de l’Essaïon et d’amis

Debout en front de scène, poitrine en bouclier, Depoix nous la verse à belles rasades avec « Les anarchistes », « Ni Dieu ni maître », « Ils ont voté » ou « Y’en a marre » pas si souvent chanté. Il est ici solidement ressuscité, premier couplet habilement retaillé à décalquer sur nos jours présents, puis enfle peu à peu comme une rivière sort de son lit. C’est aussi en habits de colère, en impatiences à mots levés, que bouillonne le flot rimbaldien des « Assis », flèche tirée d’un trait, qu’on dirait sans reprise de souffle. Rimbaud donc, mais aussi Aragon (« Il n’aurait fallu ») et le cher et trop oublié Jean-Roger Caussimon (« Ostende »), n’auraient su être absents. « La Mémoire et la mer », prière autant mystique que païenne, clôt un moment sacré, élixir d’apaisement si tant est que notre monde a mérité, voire simplement en a envie, d’être apaisé.

“Léo Ferré, tu connais?”, par Emmanuel Depoix, 19h. Essaïon Théâtre, 6, rue Pierre au lard, 75004 Paris. 01 42 78 46 42. Tarif plein: 25€. Tarif réduit: 18€. Durée: 80mn.

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