Quand c’est fini, fininini, ça recommence. Le meilleur moyen de saluer le passage d’une année à l’autre, c’est de se souvenir des bonheurs de la précédente. Retour sur cinq prix littéraires qui ont fait scintiller 2025. Et que l’année 2026 vous soit pleine de lumière en plus.
Finir c’est recommencer. C’est ainsi qu’à quelques encâblures de cette fin d’année, laquelle fut, toute chose égale par ailleurs (*), un tantinet tempêtueuse, j’ai le plaisir de relever grand le rideau de ma petite boutique des honneurs rendus à la trépidante et jamais vaine vie des livres et des écrivain(e)s. J’avais dû depuis quelques moi, et à mon contre-cœur qui est grand, la laisser en sommeil pour cause de romanesque navigation sur le cours des jours, lequel me fut, comme la vôtre j’imagine, un fleuve généreusement bouillonnant. Mes Minutes de lumière en plus patientaient donc au large, comme des cargos en leur rail. Les voici qui renaissent et je vous propose d’aller trinquer au Bar de la marine aux lauréats de cinq grands prix littéraires, en souvenir et en compagnie de ces capitaines de résistance, ces Violette Dorange des soleils levants que sont, à contre-courant de la précipitation ambiante et dévastatrice, les écrivaines et les écrivains. Retour sur cinq prix, chacun dignement arrosé, puisque la littérature, comme le Paris d’Hemingway, se doit d’être une fête. C’est ainsi qu’elle survivra.
APPELEZ-LA FLORE WARRIOR

Dans la vie civile, elle se nomme Julia Lanoë, un nom, si on lui ajoute un l, à la consonance plutôt pacifique. Mais il y a belle lurette que cette native de Saint-Nazaire, figure de la musique, ascendant electro-post-punk (je ne suis pas certain de bien résumer), chanteuse, guitariste, pianiste, compositrice, est partie en guerre sous le pseudonyme de Rebeka Warrior.
On aurait pu croire qu’il ne manquait rien au rageur bonheur de cette bête de scène également versée dans les arts. Et pourtant si c’était du côté du malheur qu’il fallait aller chercher : celui d’avoir perdu Pauline, sa compagne, d’un cancer du sein. Elle a choisi, pour apaiser sa peine, le meilleur baume qui soit : les mots. Son livre, “Toutes les vies”, publié chez Stock, a provoqué un électroclash, un électroflash, au sein du jury du prix de Flore. Ce soir-là, la lauréate aurait pu y pousser la chansonnette – vocable fort peu approprié à sa radicale énergie – mais elle était attendue en concert au Zenith où elle s’est rendue en mototaxi. Ainsi vont plein gaz, toutes les vies plus une de Flore Warrior.

ILS ONT MIS LES LECTEURS ET LIBRAIRES DANS LEUR POCHE

Sur la planète littéraire, ce qui est petit n’est pas le moins costaud. En témoignent les ventes des livres de poche qui dépassent chaque année la centaine de millions d’exemplaires. Symbolique de cette solide armature, la charpente de la Grande Menuiserie, au 66 de la rue Saint-Dominique dans le 7eme arrondissement parisien, accueillait à la mi-septembre la cérémonie de remise du Prix des Lecteurs et du Choix des libraires du Livre de Poche.

Cent-trente lecteurs en littérature ainsi qu’en policier-thriller et soixante en littérature de l’imaginaire constituaient le corps des votants. Accueillis par Audrey Petit, Directrice générale de la maison, se sont succédé(e)s sur scène pour le Prix des Lecteurs, entre éclatants sourires et larmes aux yeux, tantôt en personne tantôt en visio, Claire Deya, pour « Un monde à refaire » (catégorie littérature), déjà couronné en grand format par le Prix RTL-Lire,

Jacques Expert et Philippe Balland pour « Je suis Amélie Lenglet », ( policier et thriller), l’’Américaine Amy Harmon, pour « La première-née » (imaginaire), et Maële Vincensini pour « L’extraordinaire histoire de la Villa Alice » (documents et essais).


Côté Choix des Libraires, Camille de Peretti l’a emporté en littérature pour « L’inconnue du portrait » tandis qu’en policier et thriller, la Londonienne Alice Slater, s’est imposée pour « Mort d’une libraire ». Elle-même exerça ce précieux métier. Elle est toujours vivante. Et Le Livre de Poche plus vaillant que jamais.
POUX EUX, PAS DE CRISE DE LA VOCATION

J’ai l’impression d’enfourcher à chaque fois la même formule exclamative pour commencer : quel beau mot que celui de vocation ! Et quel sympathique destin qu’entendre des voix sans finir brûlé (celle-là est inédite) ! La vocation méritant son arc de triomphe, c’est verticalement en haut, sur la terrasse Publicis, et horizontalement tout en haut des Champs-Elysées, avec vue imprenable sur la place de l’Etoile que sont honorés les deux lauréats, en roman et en poésie, de la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet de la Vocation présidée par Elisabeth Badinter.

Le prix couronne, à hauteur (jamais deux sans trois) de 5000 euros par catégorie, des candidats d’expression française âgés de 18 à 30 ans. Sa déléguée générale, Sabine Van Vlaenderen-Badinter était ravie d’accueillir à ses côtés Steve Aganze, originaire de la République démocratique du Congo, pour son premier roman, “Bahari Bora”, imprégné de son vécu, aux éditions Récamier. Le jeune homme est spécialement venu de Kinshasa où il vit. Son costume était d’une élégance folle, son discours aussi.

Au registre de la poésie, c’est une marionnettiste, Jordi Gallizia, qui a séduit Le jury notamment composé de de l’académicien, par ailleurs prix Goncourt, Erik Orsenna, du journaliste Christophe Ono-dit-Biot, de l’écrivaine Kaouther Adimi ou du metteur en scène d’opéra Alain Germain, pour « Brasucade », publié aux éditions du Cheyne. La brasucade est une recette d’Occitanie. D’apparence si éloignés par leur thème, ces deux ouvrages partagent pourtant le même socle : Aganze retourne à ce qui lui fut violent, Gallizia à s’accommoder de la douceur d’un monde qui disparaît.
C’EST MARIE DE LA MARINE

Lire, c’est partir au large. Les mers, les océans, sont des pages qui respirent à perte de vue, mais comme le chante Ferré, nous appelant à voir ce qu’on ne voit pas. Les écrivains de marine sont des gens qui ont les pieds sur mer et lorsqu’ils reviennent écrire sur le plancher des vaches, des navigateurs soliterres.

Mécéné par Philippe d’Ornano, propriétaire de la marque de cosmétiques et de parfums Sisley, et doté de 10 000 euros, le prix des Ecrivains de marine connaissait cette année sa troisième édition au dernier étage de son port d’attache, navire amiral de la marque, avenue de Friedland.

Le jury a cette année désigné une femme, Marie Richeux, pour « Officier radio » publié aux éditions Sabine Wespieser. Cette femme de radio justement, qui officie sur France Culture où elle a créé le book-club et animé pendant quelques années une émission consacrée à la poésie au très joli titre, « Pas la peine de crier », y déploie l’enquête qu’elle a menée sur la disparition de son oncle Charles Richeux, lors du naufrage de « L’Emmanuel Delmas », survenu en 1979 au large des côtes italiennes et dans des circonstances qui gardent leur mystère.

Ce drame a jeté l’ancre dans le conscient familial où jamais, au grand jamais, comme dirait Brassens, « son trou dans l’eau n’s’est refermé ». Que remue-t-on en soi et chez les autres lorsqu’on cherche à démêler les filets du mystère ? Marie raconte dans ce livre que quelques langues agacées, voire peu bienveillantes, finissaient par lui poser cette question : « vous cherchez quoi, au fond ? » Ce qui, on en conviendra, est un peu rude dans la formulation.
POUR ELLE, C’EST CASTEL

Ah ! Castel ! Ce Club privé du 15 de la rue Princesse, au cœur du 6eme arrondissement ! Sa façade, sa clientèle de légende, miroir d’un âge d’or de la nuit parisienne que ses nouveaux propriétaires s’emploient à ressusciter, son dancefloor et… sa moquette.

Ici il y a deux sortes de membres : ceux, femmes et hommes à parité respectée, dûment encartés, chaque nouveau venu strictement coopté, et ceux imprimés avec une coquine élégance sur la moquette.

Le masculinisme imbécile, ici, se fait marcher dessus et là-dessus justement, ne pensez pas que je m’écarte de la littérature. Depuis 2022 en effet, le Prix Castel, doté de 5000 euros, braque ses feux nocturnes sur un(e) auteur(e) qui aurait mérité, par son style, sa liberté d’irrévérence, son rond de serviette dans l’établissement.

Cette nuit-là les jurés, au nombre de dix, parmi lesquels Emma Becker, Eva Ionesco, Abnousse Shalmani ou Jean-Noël Pancrazi, ont jeté son dévolu sur « La peau dure », de Vanessa Schneider. Publié chez Grasset, ce récit creuse à la chignole mais sans rien abimer dans des strates de peau dure de cet intime étranger que fut l’écrivain et psychanalyste Michel Schneider, son père.