PAGNOL, TELLEMENT IMMORTEL

2024 arrive à mi chemin du chapelet d’évènements et de publications diverses qui célèbrent le cinquantième anniversaire de la disparition de Marcel Pagnol. Récit auto-foutraque, ému et forcément incomplet de ce qui s’est déjà passé et de ce qui est à venir. Et ça va loin: jusqu’en 2026 qui verra l’inauguration du musée Pagnol.

Je ne voudrais pas tout ramener à moi mais quand même un peu tout de même (1). Quand j’étais petit, vers l’âge de dix ans, onze à tout casser, j’ai découvert en piochant sur les étagères de la bibliothèque municipale de Chalon-sur-Saône, ma ville natale, mon premier auteur de science-fiction. Il s’appelait Marcel Pagnol et ce qu’il racontait dans sa trilogie « La gloire de mon père »/« Le château de ma mère »/« Le temps des secrets » m’était si étranger, à savoir le bonheur en famille, que je fus aussitôt happé par cet univers aussi déconcertant.

“La gloire de mon père”, mon édition de 1957

« Le temps des secrets » est sans doute le livre que j’ai le plus relu dans ma vie. L’exemplaire original sauvé de toutes les eaux, ne tient sur mes étagères que fermement compressé par les deux autres tomes pourtant bien mal en point aux aussi.

Dans ces mêmes parages temporels, les années 60, je lus des choses bien plus adaptées à mon point de vue sur l’enfance. « Ma mère », de Georges Bataille, quoique cela n’avait rien à voir avec le cours filialement chahuté de mon existence, abordait ainsi de fascinants rivages. « Les enfants tristes », de Roger Nimier m’a laissé l’ineffaçable souvenir de son titre, un peu moins de son contenu mais je sais que je remédierai bientôt à cette brumeuse lacune car le volume en poche m’est chaque matin à portée de regard. « Pauvre Blaise », de la Comtesse de Ségur, dans la collection Rouge et Or, fut aussi un vrai plaisir répété de lecture. Je crois me souvenir qu’il s’achève sur une morale heureuse mais j’ai oublié laquelle.

Pagnol, donc. Né le 28 février 1895 à Aubagne, décédé il y a cinquante ans, le 18 avril 1974. Il m’en a fait avaler des sauterelles comme le jeune héros du Temps des secrets, Marcel lui-même, raide dingue d’une princesse en toc et petite peste patentée! Il m’en a fait entendre, peuchère, des cigales, par ailleurs magistralement absentes de la Saône-et-Loire.

Cela ne se voit pas sur ma peau puisque ça se passe sur l’enveloppe du cœur, mais je suis tatoué par Pagnol. Et de ces trois phrases rencontrées quand je devins adulte (du moins on s’évertua à m’y ranger mais on ne peut guère à ce propos parler de succès) : « Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins. Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants. » Il faudra que je demande à Nicolas Pagnol, petit fils de Marcel et Jacqueline, garant très actif de la postérité de son aïeul, dans quel ouvrage elle niche. Est-ce “Le temps des amours”, inachevé, publié en 1977 et que je n’ai curieusement pas eu envie de lire?

Nicolas Pagnol, garant obstiné de la mémoire de son grand-père

Oui, Nicolas est l’obstiné et vaillant combattant de la pérennité de l’oeuvre de son grand-père. Car l’Immortalité ne fait pas tout. Tout est aujourd’hui devenu si fragile qu’il faut se garder chaque instant à droite et à gauche, devant et derrière, du moindre danger. Quels moyens la beauté a-t-elle pour résister lorsque la famille Kardashian, Elon Musk, Tik Tok, les complotistes et les cons platistes mènent assaut de tout? L’Intelligence artificielle se préoccupera-t-elle du patrimoine? Comme le dit mon ami Jean-Michel, pagnolesque à sa façon: “l’intelligence devient artificielle alors que la connerie reste si naturelle!” Du Raimu.

Mais je m’égare.

Comme je suis nul en anniversaires et par ailleurs passablement occupé (2), j’ai laissé couler les jours depuis cette conférence de presse de fin mars où tout fut dit sur le contenu de cette année commémorative.

Ce soir-là, sous le haut-patronage de l’Académie française et à l’invitation de Nicolas, de Pascal Rogard, Directeur la Société des Auteurs Compositeurs Dramatiques (SACD), et de Floryse Grimaud, créatrice en 2000 du Prix littéraire Marcel Pagnol (3) avec la complicité de Jacqueline Pagnol disparue le 22 août 2016,

Marion Fayolle, lauréate du 24eme Prix Pagnol, le 10 juin au Fouquet’s, entourée de Floryse Grimaud et Nicolas Pagnol

l’historien et académicien Pascal Ory fit avec humour l’éloge de son illustre collègue dont le fauteuil est aujourd’hui occupé par Dominique Fernandez. Ory, lui, occupe le fauteuil 33, soit celui de l’iconoclaste et retardataire compulsif François Weyergans. C’est juste pour information. Au passage, avez-vous remarqué que sous la Coupole, c’est comme en covoiturage ? On est toujours assis à la place du mort.

Mais je m’égare, je m’égare.

On y déploya l’éventail, chamarré de diversité, de mille et unes initiatives appelées à se succéder dans l’année : littérature, BD, théâtre, cinéma (4), nouveautés en audio lectures avec Vincent Fernandel en narrateur,

Jean de Florette et Manon des Sources, les tomes 1 et 2 de L’eau des collines

expositions, concert philarmonique, poésie, tables rondes… D’ Allauch, dans la banlieue de Marseille, à Monaco où Marcel s’installa ; d’Aubagne à la Rochelle en passant par la Ciotat dont un quai porte désormais le nom de l’écrivain-dramaturge-cinéaste ; de Londres, où l’on aura donné cet été une adaptation de « La femme du boulanger » en comédie musicale, à Budapest et jusqu’au Brésil ; de Pézenas dans l’Hérault, avec l’exposition « Albert Dubout illustre Marcel Pagnol » à la Cinémathèque française à Paris, la magie Pagnol aura artistiquement jeté jusqu’en novembre, sur le pays et hors frontières, sa mantille de cigales.

Avec Vincent Fernandel, l’oeuvre de Pagnol est sur la meilleure des voix

Bref on l’a bien compris, avec cette haute figure de Provence, quand c’est fini, n-i, ni, ni, ça recommence (5). Ce constat n’est pas valable pour tous les Immortels dont un bon paquet dorment dans des draps d’oubli. En 2025, comme on le lira ci-dessous, sortira sur les écrans un biopic animé sur Marcel. Enfin, accomplissement absolu d’un rêve de Nicolas, le Musée Pagnol ouvrira cette même année dans la cité d’Allauch.

Un peu flou mais collector

Il me semble qu’il serait bien indélicat de ne pas rendre à César (6) ce qui lui revient de droit, c’est-à-dire laisser le mot de la non-fin à son petit-fils,” Si un auteur est toujours présent dans le coeur des Français un demi-siècle après sa mort, cela veut dire qu’il le sera encore cent cinquante ans plus tard. C’est pourquoi j’ai le sentiment que Marcel est à la fois un marqueur du temps qui passe, mais aussi un porteur d’espoir.” Et ce n’est pas de la science-fiction.

(1) mais quand même un peu tout de même: audacieux mais joli octosyllabe

(2) Never explain, never complain

(3) Présidé par Grégoire Delacourt, le 24 Prix Pagnol qui récompense un ouvrage consacré aux souvenirs d’enfance, est revenu à l’illustratrice Marion Fayolle pour son premier roman, “Du même bois”, chez Gallimard.

Le jury n’a pas été de bois devant le roman de Marion

(4) Dix films tournés par Marcel Pagnol sont ressortis cette année en version restaurée. Marius (1931), Fanny (1932), Jofroi (1933), Angèle (1934), César (1936), Regain (1937), La femme du boulanger (1938), Le Schpountz (1938), “La fille du puisatier (1940), Topaze (1951)

En passant par Bruxelles

(5) Merci Léo Ferré

(6) Et Marius, et Fanny, et Joseph, et Augustine, et l’Oncle Jules et le petit Paul, et Ugolin, et le Papet, et la Pomponnette…

TOUT CE QUI EST A VENIR, DU HAUT DU GARLABAN

Voici quelques principaux rendez-vous prévus jusqu’à la fin de l’année et même au-delà.

Septembre.

19 au 22 septembre : rétrospective Pagnol en Hongrie. « Le Budapest Classic Film Marathon » se déroulera au National Film Institute de Budapest

Octobre. Parution du « Livre de la nature », recueil de poèmes de jeunesse illustrés (éd. Michel Lafon)

Le 11 : Colloque au théâtre Comedia d’Aubagne en collaboration avec l’Université d(‘Aix-Marseille

Novembre.

Sous l’égide de la Compagnie méditerranéenne de fils, parution en BluRay des versions restaurées de « Naïs », « Topaze », « Le Schpountz », enrichi d’un documentaire inédit intitulé « Morceaux choisis ».

2025

En juin 2003, Sylvain Chomet défrayait la chronique cinématographique avec un film d’animation, les « Triplettes de Belleville » qui décrocherait l’année suivante le César de sa catégorie et ferait le voyage à Los Angeles, frôlant de peu l’Oscar du meilleur film. Chomet revient en 2025 avec un biopic intitulé « Marcel et Monsieur Pagnol ».

2026.

Inauguration à Allauch du Musée Pagnol.

ITINERAIRE D’UNE AME SENSIBLE

La couverture de l’ouvrage est la photo d’ouverture de cet article. En avril dernier, Karin Hann, doctorante en lettres et auteure jusqu’alors de plusieurs romans historiques (son dernier ouvrage dans ce domaine, “L’audace de la liberté”, consacré à Olympe de Gouges, est paru en 2022 aux éditions du Rocher), changeait de registre en signant, publié directement en format poche, ce qui apparaît, parmi les nombreux ouvrages consacrés à Marcel Pagnol (dont “Il était une fois Pagnol”, présenté par Raymond Castans, en 1978 et, en 2017, aux éditions Hors-collection, celui de Nicolas Pagnol, “Marcel Pagnol, l’album d’une vie” constitué de photographies et de fac-similés puisés dans le trésor des archives familiales), comme la première enquête biographique sur l’auteur des “Souvenirs d’enfance”. L’auteure, que la figure de Pagnol accompagne depuis ses années universitaires à la Sorbonne, de mémoire de maîtrise en recherches de doctorat, explore strate par strate l’itinéraire d’une âme sensible, en foule les chemins de traverse, en libère les chemins noirs.

Sous sa plume, Marcel est tout sauf une statue du Commandeur mais un poète, plutôt, qui cherche par le langage, la puissance des mots, leur élasticité, leur malice, leur capacité de violence aussi, à rendre chaque vérité de l’amour, l’amitié et du tragique. Elle insiste sur “une oeuvre réaliste, ancrée dans la vie” avec par petites touches ici et là, “une note drôle et légère pour la rendre plus supportable”. Elle rappelle que la perte de sa petite fille Estelle en février 1954, le fit, après deux années de chagrin, se réfugier dans sa propre enfance pour en presser le suc du bonheur. Elle décrypte son style, producteur de “sonorités, d’images” dont l’apparente simplicité aura reposé sur un gigantesque travail. Elle y évoque l’aspect salvateur du mensonge – “tout un art, qui s’apprend dès l’enfance” -, l’importance des objets dans ses mises en scène “indispensables pour faire avancer l’action” – un certain chapeau melon dans “César”- et rappelle que Pagnol cinéaste a “joui d’une liberté absolue, assumant tous les postes de la chaîne de fabrication d’un film”. Au passage, elle rappelle l’éblouissement que fut pour Marcel, en 1930 à Londres, la projection du premier film parlant, “Broadway Melody” auquel il assista et qui détermina, non sans orages avec le monde du théâtre qui le prit comme une trahison son radical changement de cap. Et quel détonateur fut également pour lui la lecture des romans de Giono. Karin Hann invite d’ailleurs à sa table de prestigieux invités, du philosophe Henri Bergson au cinéaste Jean Renoir, un autre Marcel, Proust celui-là ou, pour une furtive apparition, un certain Charles Baudelaire, auteur de cette formule: “le génie n’est que l’enfance retrouvée à volonté”. Du Pagnol dans le texte.

“Marcel Pagnol – un autre regard”, de Karin Hann, éd.Litos, 365 pages, 8,50€

PAGNOL ET LA BD, C’EST DE L’AMOUR

Quoi de mieux que la bande dessinée et l’illustration pour inviter les jeunes lecteurs à découvrir l’univers d’un écrivain? Avec Pagnol et les éditeurs, pas besoin de nous faire un dessin: ça tourne de manière posthume à l’histoire d’amour.

Chez Fleurus, voici un très élégant album enrichi d’u CD, aux dessins pleine page accompagnant des extraits de la trilogie “La gloire de mon père/ Le château de ma mère/ Le temps des secrets. Les superbes images sont signées Gérald Guerlais, également romancier pour la jeunesse et qui, dans le domaine de l’animation, se partage entre la France et les Etats-Unis. Conteur-né, Vincent Fernandel, petit fils de Fernandel, se charge de mettre l’accent sur la lecture. C’est également lui qui oeuvre pour Audiolib, soit la lecture intégrale des deux premiers tomes de l’eau des collines: “Jean de Florette” et “Manon des sources”

Les éditions Michel Lafon proposent pour leur part une pièce inédite de Marcel, “Gaby ou la belle et l’argent”: l’histoire plutôt inattendue d’une jeune femme riche qui profite en célibataire de cette existence sans souci. Mais elle a la mauvaise idée de confier le gestion de sa fortune à son père, plus enclin à la dilapider qu’à la faire fructifier… Le scénario a été confié à Véronique Grisseaux, déjà adaptatrice pour la BD de romans à succès (Yasmina Khadra, Gilles Legardinier, Agnès martin-Lugand…). Luc Brahy, à qui l’on doit notamment la transposition de “Scarface”, d’Olivier Norek, est au dessin.

Le label Grand Angle, enfin, si bien nommé à cette occasion, a donné les grandes orgues et s’est lancé dans la publication de l’intégralité de l’oeuvre pagnolesque. Vingt volumes à ce jour dans la collection “Marcel Pagnol”. Quatre cent-mille albums vendus et parmi eux quatre-vingt dix mille pour le seul titre “La gloire de mon père”.

Une partie de la collection Marcel Pagnol chez Grand Angle

4 commentaire
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Commentaire

  • Floryse Grimaud

    19 août 2024 at 15h02
    Reply

    Quel article merveilleux! Il révèle une connaissance familière et fine de l'oeuvre de Marcel Pagnol. Je crois pouvoir dire que Pagnol aurait aimé aussi le […] En savoir plusQuel article merveilleux! Il révèle une connaissance familière et fine de l'oeuvre de Marcel Pagnol. Je crois pouvoir dire que Pagnol aurait aimé aussi le ton et l'humour de cette chronique ...et quelques réflexions qu'il n'aurait pas reniées! A quand, Monsieur Vavasseur, un livre sur vos souvenirs d'enfance ? Ce sera un régal ! Read Less

    • Pierre Vavasseur
      to Floryse Grimaud

      20 août 2024 at 9h06
      Reply

      Il arrive, Floryse, il prend son temps mais il est en marche! Je t'embrasse cigalement.

  • Floryse Grimaud

    19 août 2024 at 14h55
    Reply

    Quel merveilleux article sur Marcel Pagnol! Il révèle une connaissance familière et fine de l'oeuvre de Marcel Pagnol. La culture et l'humour de Pierre Vavasseur […] En savoir plusQuel merveilleux article sur Marcel Pagnol! Il révèle une connaissance familière et fine de l'oeuvre de Marcel Pagnol. La culture et l'humour de Pierre Vavasseur auraient ravi Pagnol ... A quand, Monsieur Vavasseur, un livre sur vos souvenirs d'enfance ? Ce sera un régal ... Read Less

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