Dans l’autobiographique « Ce qu’il faut d’air pour voler », Sandrine Roudeix explore le traumatisme d’une mère qui voit son enfant quitter le foyer sans crier gare.
A leur retour de l’aéroport, après des vacances qu’ils ont passées ensemble dans une idyllique complicité et dans une nuit largement tombée, une mère voit son enfant partir. Son bébé, son tout petit, qui est désormais un grand ado de 17 ans et 5 mois. Il le fait avec des mots vifs et coupants comme les coups de bec d’une mésange que l’on voudrait conserver encore un peu dans sa main après lui avoir sauvé la vie. Puis il s’engouffre dans sa chambre, remplit un nouveau sac de voyage et dévale quatre à quatre les escaliers. Il ira dormir chez un copain. Le voilà disparu. La mère court au balcon pour tenter de repérer sa silhouette dans la rue. A la lecture de cette brève séquence, on croirait que le môme s’est jeté dans le vide. Mais c’est surtout que tout bascule pour elle.
« Ce qu’il faut d’air pour voler » n’est pourtant pas qu’un récit, autobiographique, sur le traumatisme maternel de l’échappée brusque d’un fils. C’est bien plus complexe, bien plus vaste et bien plus fouillé dans la mesure où cette déchirure se fait entre les lignes l’écho d’une autre : la sienne propre puisqu’elle a elle-même changé de vie, quitté quelques années plus tôt son mari et embarqué pour d’autres horizons professionnels. Elle aussi, au sens propre du terme, s’est décollée, a décollé, s’est envolée. Elle aussi a brisé les miroirs. Mais en l’état des choses, cernée par cette brusque solitude, elle n’a d’autre système pour encaisser le choc, que de se retrouver dans les photos de son fils prises au fil des années. Du babil à la première dent qui tombe. De la première sortie culturelle au premier job. De la première cigarette cachée à la première histoire de cœur, puis la seconde qui semble appelée à tout balayer, même les copains, même le foot, tout.
Il y a ce détail aussi, qui n’en est pas un. Sa propre mère l’a eue hors-mariage. Comme la grand-mère avec sa fille. Et presque comme l’arrière-grand-mère et sa mémoire en lambeaux. Quant à son grand-père, qui vit à Wallis et Futuna dans l’ultramarin bout du monde, il ne l’a jamais acceptée. Oui, il y en a des strates de vie et de chair dans ce beau livre qui ne parle que de mues et dit aussi comment, d’une explosion, d’un big bang, jaillissent de nouveaux équilibres, et se recousent des blessures enfouies.
« Ce qu’il faut d’air pour voler », de Sandrine Roudeix, éd. Le Passage, 220 pages, 18€