Jeudi soir, il n’y a pas foot. Bonne occasion pour « Des minutes de lumière en plus » de viser la lucarne et de fêter sa naissance. Au programme, des chansons, une tombola, un discours. Pas forcément dans l’ordre. Ci-dessus, Anne Charlotte jan-Muger et moi-même.
« Putain, j’ai eu un coup de flip cette nuit ! » m’a dit Guillaume, le patron du Seize, au 16 de la rue Pastourelle, dans le troisième arrondissement de Paris, un après-midi que je franchissais son seuil. Sur l’écran plat de sa télévision, des silhouettes couraient dans tous les sens après un ballon. J’allais lui manifester ma surprise – j’ai une empathie naturelle pour la conversation – en affirmant quelque chose comme « il fait bien trop chaud pour courir », enfin, ce genre de truc propre à s’ouvrir sur tous les horizons possibles du débat, mais il ne me laissa pas ouvrir la bouche.
-Mais finalement, non, je me suis rendormi, tu prends quoi ? Une Carmélite ?
-J’ai perdu la foi, je lui fais. Plutôt un Perrier rondelle. Je rentre dans les ordres. C’était quoi ce cauchemar ?
Je parlais dans le vide. Guillaume s’était volatilisé.
Sa voix me parvint, vaguement assourdie, elle montait de la cave.
-C’est fou ! J’ai trouvé du Perrier, me lança-t-il tandis qu’il regagnait la surface. Mon ami brandissait une canette en verre ventrue comme une grenade. Il en essuyait la poussière de la manche de sa chemise aux imprimés pizza.
-Tu sais que c’est une chemisette que tu portes, lui fis-je remarquer, arrête de prendre ton poignet pour un poncho.
Je venais de revoir Valérie Lemercier dans « Les Visiteurs ».
Nous rigolâmes comme des bossus de Notre-Dame. Une rime que Victor Hugo aurait validée.
-C’était quoi ton cauchemar ? le relançai-je avec l’obstination faussement intéressée du type qui ne va pas tarder à changer de sujet et de rade.
Il secoua la bouteille comme si c’était un mojito en préparation. Je redoutai l’instant où il allait la décapsuler.
-Y’a pas de match, le 1er juillet !
-Pas de match ? Quel match ?
Il se figea. Le Perrier bouillonnait dans sa prison de verre. Les bulles étaient aux bal. Un peu de poésie n’a jamais fait de mal, c’est ce que je pense toujours.
-Tu sais pas, me reprit-il en me lança un regard nerveux, que c’est l’Euro en ce moment ?
Sur l’écran, les silhouettes s’agitaient toujours. Le ballon sortit en touche de notre côté. Il se précipita pour le ramasser et le renvoyer dans la surface de jeu.
Mais c’est la bouteille qu’il avait lancé. Elle rebondit contre l’écran. Elle était en plastique.
-T’es complètement fou, lui reproché-je (qui aime bien châtie bien), c’est un collector !
Il eut un moment d’absence. Je lui désignai la chaise vide qui me faisait face.
-Assieds-toi, tu m’inquiètes.
Dehors, la clientèle qui agitait une minute plus tôt des verres vides, saisie par l’incident, n’osait plus rien commander.
Je décidai de frapper fort. Tant pis pour l’électrochoc.
-Guillaume, je ne panne rien à ce que tu essaies de me dire. Tu sais que je suis ton ami. Raconte-moi ce méchant rêve qui t’as réveillé en sursaut.
Il sursauta. Il y avait dans son regard une interrogation qui semblait se retourner contre moi.
-Quel rêve ? Qui te parle de rêve ? articula-t-il avec un soupçon d’agacement qui participa à me décontenancer un peu plus. Le 1er juillet, c’est le jour où tu fêtes chez moi la naissance de ton site. Tu te souviens ?
Sur l’écran plat, un type marqua un but. Guillaume, qui devait avoir un troisième œil, s’éjecta de son siège.
-MAGNIFIQUE ! hurla-t-il. MAGNIFIQUE !
La canette d’eau gazeuse qu’il abritait encore dans sa main, entama une trajectoire hasardeuse, traversa la rue en sifflant et alla se pulvériser contre le mur de la Poste qui sortait de ravalement.
Puis il revint s’asseoir, un sourire jusqu’aux oreilles.
-Désolé, lui fis-je remarquer penaud. Je t’ai fait manquer le but.
-Non. Ils l’ont déjà repassé deux fois mais tu regardais ailleurs, comme si tu voyais passer un ovni.
-Si je comprends bien ce que tu m’annonces, lui dis-je en contenant mon émotion (bon sang, il aurait fallu tout annuler, à commencer par les invitations que je n’avais pas encore envoyées), signifie que c’est toujours bon, alors ? On va pouvoir la faire, cette putain de petite fête ?
-Evidemment !
Et son sourire était étincelant comme un lac de haute montagne. A ce moment, la terrasse applaudit à tout rompre dans une standing ovation. Guillaume se leva lui aussi pour courir de table en table, à droite, au centre, à gauche, en attaque et en défense. Il y avait partout sur les joues des femmes autant que des hommes des larmes aux coins des yeux. On aurait dit des minutes de lumière en plus.
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Le 1er juillet, un jeudi, au 16 de la rue Pastourelle, Paris 3eme, à partir de 19 heures, venez fêter la naissance de Des minutes de lumière en plus, le site littéraire du découvre-feu.
Open bar en rouge, blanc et rosé au début.
Récital de chansons romantiques, avec Anne-Charlotte jan-Muger et moi-même.
Tombola.
Discours de Jean-Claude Castex, décorateur sur champ d’azur.
Miousic et Danse.
Dresse coude.
Se munir d’un euro pour la tombola!