Les maisons d’éditions associatives existent. A l’image de L'”Elocoquent”, un label né en 1984 et qui développe notamment dans son catalogue une collection nourrie de nouvelles écrites par des auteurs d’aujourd’hui sur un thème donné. Entretien avec l’éditrice Elise Dürr qui veille aux destinées de cette série également remarquable par sa fabrication à l’ancienne.
Racontez-nous la genèse des éditions de L’Elocoquent ? C’est une association, semble-t-il, qui en est le socle…
L’Elocoquent est une maison d’édition associative créée en 1984 par Alain Grunenwald. Parmi les premiers ouvrages publiés figurent ceux de Georges Limbour, Massimo Bontempelli, Max Jacob ou encore Henry Green.
Ce mot, élocoquent, réunit-il plusieurs sens ?
Le nom de cette maison d’édition vient d’un roman de Georges Limbour, L’Elocoquente. Alain Grunenwald a pensé qu’un tel mot, qui fait bégayer l’éloquence, était un bon patronage pour une maison d’édition : toujours se rappeler qu’avant d’être éloquent, il faut bégayer beaucoup.
Quels seraient les mots clé de la maison ? Autrement dit, quelle ligne éditoriale préside à vos publications ?
Là je sèche.
Vous dirigez la collection d’ouvrages collectifs qu’elle abrite et dans laquelle figure « Coups de gueule en mer », qui sort en cette fin d’année après, en 2019, « Cavaliers des bouts du monde » ? C’était votre idée ?
Coups de gueule en mer fait partie d’une collection d’ouvrages collectifs, réunissant autour d’un thème commun les récits d’auteurs d’horizons très variés, mais ayant tous en commun une vie d’ailleurs, de lointain, ou plutôt de terrain. Ces marins, grands reporters, boxeurs, musiciens, cavaliers, cosmonautes… ont tous en commun cette vie de nomade qui les ramène au sol, avec la « rugueuse réalité à étreindre », mais avec cette si précieuse expérience du large qui les rend tous légitimes pour prendre la parole et nous donner des nouvelles de la terre amoureuse, de la mer qui bat ou du ciel qui tangue – de nous-mêmes en somme. Je me suis rendue compte que ces auteurs, dont la plupart n’avait jusqu’alors jamais écrit, accordaient beaucoup d’efforts pour trouver les mots qui ne trahiraient pas leur souvenir, qui restitueraient le plus fidèlement possible leur histoire. C’est bien cette démarche qui à mes yeux fonde leur style et assure la force de leur récit, et c’est pour cela que je n’interviens pas dans la rédaction, à part à la manière d’un correcteur de grammaire un peu humanisé, s’il le faut.
Vous avez souhaité en soigner la présentation par une technique d’imprimerie à l’ancienne…
Nos ouvrages sont imprimés de manière artisanale, par les soins du maître-imprimeur François Huin, de l’imprimeur Gilles Hue et du linotypiste Jacques Boisselier, dans l’imprimerie S.A.I.G. de l’Haÿ -les-Roses. Il s’agit de la dernière imprimerie traditionnelle de France, frappant les plombs de l’Imprimerie nationale ; et parce que l’État n’a pas classé cette pratique parmi les artisanats d’art (à l’instar des « petites mains » de la haute couture), lorsque celle-ci fermera ses portes (d’ici très peu), nous devrons tourner nos désirs de bibliophiles vers d’autres pays.
L’illustration n’y compte pas pour rien…
Françoise Chaussin, Claude Thomasset et Jean-José Hodara assurent – à l’encre, au fusain ou à la gravure, les illustrations des ouvrages collectifs (parfois les auteurs s’y mettent aussi), donnant à cette collection une belle part de son identité.
Chaque dessin, chaque image est réalisée après la lecture du récit, et souvent aussi après échanges avec l’auteur, tant il est important que ce dernier se reconnaisse dans le dessin qui accompagnera son récit. C’est une dimension du livre très importante, notamment parce que dans une librairie, lorsque l’on tient le livre entre les mains, qu’on le feuillette, c’est sur les illustrations que l’on s’arrête d’abord, et c’est par leur lecture que l’on entre ainsi dans le récit, que l’on ne lira qu’ensuite.
Les illustrations sont une autre écriture du récit. Il a fallu lire et relire pour s’en imprégner, être l’auteur tout à coup, quelques instants, le temps de mettre les traits, les vrais, ceux qui vivent.
Comment l’Elocoquent tient-il bon la barre en ces temps où la lecture est plutôt malmenée. Et si la Covid s’y rajoute, par-dessus le marché … !
Nous tenons bon parce que depuis toujours nous tenons à un fil. Maison d’édition associative, complètement indépendante, sans aucune aide ni publique ni privée, sans branche de communication ni même de diffuseur… Nous pratiquons un métier à l’ancienne, à l’estime, à la sueur aussi.
Connaissez-vous déjà votre prochain thème ?
Mais non. Une idée ?
“cavaliers du bout du monde”, éd L’Elocoquent, illustrations originales de Françoise Chaussin et Jean-José Hodara, 21 pages, 23 €
“coups de gueule en mer”, éd. L’Elocoquent, illustrations originales de Françoise Chaussin, Jean-José Hodara et Claude Thomasset, 266 pages, 28€