Quand Sagan roulait en auto…critique

En 1998, six ans avant sa mort, Françoise Sagan, qui n’avait encore jamais pris le temps de regarder “Derrière l’Epaule”, relut ses romans. Ce coup d’œil dans le rétro de la part d’une passionnée de bolides, que rééditent les éditions Stock, est la plus juste, la plus sévère mais aussi la plus drôle auto-biographie de l’auteure de « Bonjour Tristesse ».

Françoise Sagan (1935-2004) conduisait à vive allure de puissants cabriolets ne laissant d’autre trace qu’un éclair fuselé aussitôt disparu. Le « charmant petit monstre , admiré de François Mauriac, avait le goût du risque. Elle traçait. Entre deux virées, elle laissait des romans beaux, tristes et turbulents, qui faisaient frissonner d’excitation les lecteurs émoustillés par l’insolente facilité de cette jeune fille de bonne famille. Vitesse, donc – l’accident de 1957 faillit être son point mort – alcool, herbes folles, Sagan osait goûtait à tout. Jusqu’à cette année de 1998 où, un peu cabossée par la vie, elle découvrit la marche arrière. Sagan ratissa ses feuilles volantes arrachées à l’éphéméride des années glorieuses. Avec l’élégance d’une femme qui se regarde du coin de l’œil dans la vitrine d’un magasin et qui, d’un doigt précis, corrige une boucle rebelle, elle entreprit de relire ses livres. « A y penser, écrit-elle, les seuls jalons de ma chronologie seraient les dates de mes romans, les seules bornes vérifiables, ponctuelles, et enfin presque sensibles de ma vie. »

Françoise Sagan par Denis Westhoff
Françoise Sagan par Denis Westhoff

Ainsi, de “Bonjour Tristesse” à “Un certain sourire”, “Aimez-vous Brahms” à Château en Suède”, de “Chamade” aux “Faux-fuyants” et aux “Bleus à l’âme”, la romancière, auteure dramatique, scénariste, rembobine son œuvre et lui ouvre le ventre mieux que ne l’auraient fait des critiques certifiés, mais ici plus rosses que flagorneurs. « Je revenais avec un livre sous le bras logé dans un beau classeur rouge, un livre que j’allais à présent disséquer, élargir ou resserrer, sur lequel j’allais exercer mon goût masochiste de la correction ». De fait, elle n’est pas tendre avec elle-même, jugeant le plus souvent ses textes insuffisants, un peu trop vite torchés ou « maigrichons ». Entre anecdotes, réflexion sur l’écriture, états d’âme, évocations d’amours et d’amitiés, Françoise Sagan, en se révélant avec cette nonchalance aimable mais clairvoyante, nous tend un miroir sans tain. C’est nous qu’elle épingle dans son album d’éternelles grandes vacances. Chacun reconnaîtra les siens dans les émouvantes confidences d’une sur-vivante.

Jean-Michel Ulmann

« Derrière l’épaule », de François Sagan, éd. Stock, 200 pages 19€

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