Dans son quatrième livre, Virginie Carton analyse une relation adultère entre un chanteur célèbre et sa groupie, et qui s’est refermée comme un piège sur la narratrice. Une subtile manipulation n’y joue pas un moindre rôle.
C’est un livre qui démarre raplapla. Une histoire de feu qui « crépite » dans la cheminée, un bonheur familial ouaté-formaté, et par-dessus le marché aux abords de Noël. Un pur chromo nunucheland comme en diffuse M6 en semaine à 14 heures en puisant dans un stock sans fond de romances américaines. De quoi se dire oulala, qu’est-il arrivé à l’exigeante éditrice Viviane Hamy ?!
Rien. Elle va bien. Elle a juste le sens de la blague fugace puisque, sous ce titre malin – auquel on n’avait jamais songé, ça c’est fort – va se dérouler un drame romantique bourré d’incandescence, une danse sur les braises qui entretient le suspense, une opération à cœur ouvert et sans anesthésie pour le patient. Oups ! Faites excuse… Pas le patient : la patiente ! Car « Restons bons amants » met au centre du jeu la narratrice elle-même, alias Hélène, d’abord libre comme l’air frais, amante d’un chanteur connu, marié, père de famille et la plupart du temps en tournée. Mais à ses 25 ans, Hélène à son tour a choisi de passer la vitesse supérieure dans sa vie de femme. « Tout arrêter » pour mieux recommencer. Devenir une épouse et une mère. « J’avais envie d’une vraie histoire, d’avoir des enfants. Je ne pouvais pas rencontrer quelqu’un en ayant déjà dans ma vie un amant. » Et d’ajouter avec un rien de naïveté faussement lucide : « Ca n’aurait pas été sérieux. »
Et ça ne l’a pas été.
La rupture s’est pourtant déroulée dans les règles de l’art. Dans un amiable tempéré. L’annonce en bonne et dûe forme, les yeux dans les yeux, de mettre un point final à cette histoire. Un acquiescement en retour. « Tu as eu cette drôle de réponse qui m’a suivie toute ma vie, pendant toi et encore aujourd’hui. Tu m’as dit « Si l’on continuait à se voir régulièrement comme ça, cela voudrait dire que j’ai une double vie. » Hélène n’a pu s’empêcher d’y voir un sous-entendu flatteur. Elle était donc la seule à s’être installée clandestinement dans sa vie ?
Non-fin de l’histoire.
« Restons bons amants », qui court sur plusieurs années, appartient à ces récits qui sentent très fort le vécu, à la Annie Ernaux par exemple, et qui agissent donc sur leur auteur(e) comme un acte thérapeutique où se joue un tout pour le tout à rebours. Tout redire, tout rouvrir, tout recreuser pour extraire, à tête et passion reposées, quoiqu’encore foutument convalescentes, la chronique annoncée d’un désastre intime.
Celui-ci reposait sur une charte de belles promesses, la plus habile de toutes étant ce commandement : se jurer de ne pas s’aimer. « C’est fou ce qu’on ne s’est pas aimés. C’est fou tout ce qu’on a pu faire pour s’en empêcher. »
Cette phrase dit tout des racines du livre. La pulsion, la passion, ne sont pas l’amour. A part ça, le décor est idéal, jolies chambres d’hôtels, amours de luxe. La poésie s’invite en pique-assiette, en hirondelle dans le lit des amants. A chaque fois qu’il est question de se re-séparer, des mélodies en sous-sol se refont entendre, des stratégies de sioux qui font d’imperceptibles dégâts. « Tu m’emmènes dans ton bureau, ton espace à toi, et l’on se parle. Des heures. Tu repars à ma conquête. Tu veux me retenir.(…) Tu sais comment me consoler. Je crois percevoir à ce moment ce que tu puises en moi. Peut-être cela a-t-il à voir avec ton envie de créer ».
Sous une photo de couverture vraiment réussie, où se distingue dans la pénombre du second plan un jeu de dés qui se cognent aux épaules, ce roman se referme au fur et à mesure sur sa proie avec un coup du lapin inattendu.
Des trois romans qui précèdent sous la plume de Virginie Carton que nous n’avions pas lue jusqu’ici ( tout arrive, à commencer par les bonnes choses), deux s’intitulent « Des amours dérisoires » et « La blancheur qu’on croyait éternelle », tiré de la chanson de Souchon « L’amour à la machine ». C’est à préjuger que cette romancière s’est fait une spécialité des cœurs battants sans passer par les sentiers battus. Et son efficacité à vous attraper, pas à pas, mot à mot, rappelle que le désir n’est pas à confondre avec l’amour. Encore moins avec la passion dont la source latine du mot, patio, ne signifie rien d’autre que souffrir.
« Restons bons amants », de Virginie Carton, éd. Viviane Hamy, 132 pages, 13,90€
Commentaire
Jean-Paul RENOUX
Très belle chronique (une fois de plus !) : bravo !
Pierre Vavasseur
to Jean-Paul RENOUX
Merci Jean-Paul, Pierre Si vous avez vous-même des coups de coeur, la rubrique l'invité(e) est faite pour vous. Belle soirée Pierre