En repartant sur les traces de Sofia, grand-mère de son mari, la narratrice retrace l’aventure de cette jeune fille venue d’Odessa en 1904 pour vivre sa vocation de médecin et sa passion pour son professeur. Un récit sous tension au moment où le passé rejoint le présent. Le tout chez un éditeur qui se préoccupe des difficultés de vision de ses lecteurs.
Odessa… Longtemps cette Ithaque ottomane aujourd’hui au cœur du drame ukrainien accueillit les rêves de mille et une nuits de beautés mutines. Sofia en était originaire. Sofia : prénom trop sage pour une jeune fille qui se révèlera amoureuse et téméraire. Bien décidée à devenir médecin et à finir ses études en France alors que cette ville- port connaissait les premiers spasmes de la révolution, Sofia sans le savoir possédait un profil d’héroïne. Mais un profil perdu. Perdu jusqu’à en effacer son identité comme s’effacent les traces des pas des exilés. Pour les retrouver il fallut qu’à la mort de Boris, son mari, petit-fils de Sofia, Elsa, la narratrice, force le coffre de la mémoire, histoire de prolonger leur histoire puisque, désormais, la fin était écrite.
Restait à ouvrir le carton à souvenirs dissimulé au fond de la penderie. C’est ainsi que Marie Audran découvrit la grand-mère de Boris, ses tribulations, son départ d’Odessa en 1904 et sa rencontre avec Joseph son professeur de médecine et futur époux.
En se plongeant dans les vestiges d’une longue correspondance, l’auteure a recomposé son itinéraire, ses combats, sa détermination à satisfaire sa vocation incongrue en dépit des obstacles. Mais aussi sa conversion conjugale au catholicisme dans une France encore agitée par l’Affaire Dreyfus. Entre fiction et réalité, elle a imaginé les lettres brûlées, comblé les silences secrétés en famille. Ce retour aux sources l’a menée de Paris à Odessa à la fin du XIXème siècle. Restait à parcourir le chemin de l’aller. Alternent ainsi l’allegro passionné des amoureux et l’andante du compte à rebours des jours. D’une coté la patience, de l’autre l’urgence. Le rythme syncopé entre passé et présent donne une tension cardiaque à ce récit. Roman résilient ? Cathartique ? A celle ou celui qui lit d’en décider. Mais ce livre démontre, si besoin est, la raison d’être des romanciers. Rattraper le temps perdu, donner la parole aux serments en sourdine, élargir l’espace, trouver au fond de l’intime des notes unanimes. Ajoutons-y l’humour, la langue juvénile, volontiers leste, libertine de Marie Audran. Son écriture a du cran et son roman, en vous écorchant, vous accroche à ses pas. Au catalogue d’une maison d’édition qui se préoccupe des problèmes de vision de ses lecteurs, Odessa est le berceau d’une nouvelle odyssée.
Jean-Michel Ulmann
« Elle venait d’Odessa », de Marie Audran. Encre Bleue Editions, basse vision, corps 18, 195 pages, 23,80€.