Verres en prose (3/3)

Cette rentrée dite « d’hiver » ne pouvait s’achever sans qu’on ait trinqué aux livres forts en degrés de trois auteurs aux univers et styles radicalement différents. Après Jean-Marie Gourio et son « 2 grammes 40 », Jean-Pierre Ancèle avec « Au rendez-vous des Pas-Pareils », voici Daniel Picouly pour l’archi-gouleyant « Les larmes du vin ».

Il y a tant de bons moments dans le nouveau récit vrai, aisément converti en roman, de Daniel Picouly, « Les larmes du vin », qu’on passerait son temps à trinquer aux plaisirs qu’il nous procure. La séquence sur sa naissance, par exemple, arrosée de mousseux, les bouteilles mises au frais dans le baquet qui sert aussi de baignoire à progéniture, est un modèle du genre. Picouly dispense une écriture qui ondule comme son patronyme, en vaguelettes sur la phrase. Son style miroite comme une mer piquée de soleil à midi. Lire Picouly, c’est sourire et se reposer. Il ne manquerait plus qu’un coup à boire si, précisément, l’auteur se chargeait, sans qu’on lève le doigt, de nous resservir.

C’est parce qu’il fut un jour intronisé chevalier du Tastevin, avec invitation à se fendre d’un discours qui ait la cuisse vigoureuse et l’aile poético-spirituelle à défaut d’être spiritueuse, que l’écrivain originaire de Villemomble, en Saine Saint-Denis, ascendants Martinique, Prix Renaudot pour « L’enfant Léopard », a augmenté le volume de sa copie pour nous offrir en tournée générale un cépage autobiographique. Ces « Larmes du vin » pourraient bien être l’autre versant de son « Champ de personne », le best-seller option famille nombreuse – treize enfants tout de même – qui lui fraya en 1995 une autoroute dans le paysage littéraire.

Il y a auteurs qui nous saoulent et d’autres qui nous enivrent. Picouly, qui ne picolait pas – la plaisanterie est facile mais elle s’impose – nous raconte ses compagnonnages imprévus, son chapelet de vie en semis de rencontres, où le pinard n’a jamais manqué de jouer son rôle sans que la Picouly Family n’en subisse les désastres. « Mon histoire avec le vin est restée  méfiante et platonique. Pourtant je n’ai jamais eu à jouer au grand frère en ce domaine. Je n’ai jamais vu mes petites sœurs risquer le naufrage. » Et quand le « p’pa », Roger – ça pouvait arriver en voiture au retour d’un match – s’était mis « la jauge dans le rouge », la prudence l’invitait à se garer sur le bas-côté et, s’il pleuvait, à laisser la pluie mettre de l’eau dans son vin. Le sport, en particulier le rugby, ne compte pas pour de la piquette dans l’aventure picoulyenne. L’écrivain y fut conçu dans l’enthousiasme d’essais vainqueurs avec rasades de vin chaud. Page 50 : « La m’am, (Lucette Ndlr), avait bien essayé de se souvenir : « En février 48, il neigeait, c’était peut-être un vin chaud, très chaud. Ton père m’a surtout parlé de touche, d’introduction en mêlée, de placage, d’en-but, d’essai et de transformation entre les poteaux. » J’ai tout de suite compris que j’aimerais le rugby. Un sport avec autant de vocabulaire sous le maillot ne pouvait pas être mauvais. »

« Les larmes du vin sont des larmes sans chagrin ni larmes », écrit ce multi-instrumentiste du registre littéraire qui est aussi une figure du répertoire jeunesse. De fait, on n’est pas là pour pleurer mais pour s’émouvoir comme devant un lever de soleil par beau temps. Voilà un livre plein de chaleur, à remonter le moral pour qui l’aurait momentanément perdu, à vous mettre hiver comme été au coin d’un feu réparateur. Tout y porte à sourire ou à s’attendrir.

Illustration Couverture Picouly

Le souvenir du palais de villégiature familiale, la Richaudière, en est un exemple. « On passait de la cité Million, la cité des millionnaires, à la Richaudière, la maison de campagne des richards. A croire que, là où la famille préférait habiter, c’était dans les mots. » Picouly, qui n’est pas président du Prix Pagnol pour rien, met dès qu’il en a l’occasion l’accent sur les personnages. Le Grand Jeannot et son manteau à mille poches remplies de mignonnettes ; le facteur, qui cueille au vol les coups de rouge comme un coureur cycliste sa musette au ravitaillement. Ou ce La Hurlette, ex chauffeur de taxi et qui descendait du prince Galitzine, « l’inventeur du champagne russe. Meilleur que le français » ( on comprendra que l’actualité nous contraigne à ne faire aucun commentaire).

Bien-sûr, au fil des pages et des cépages, de formidables portraits – jamais au fusain, le vin donne des couleurs – qui vous résument une âme (Bohringer, étincelant sabre d’homme), Picouly ne nie pas avoir négligé quoi que ce soit de son apprentissage. Et sans jamais faire porter la faute à une dégustation un peu trop généreuse. Son spectacle, « La faute d’orthographe est ma langue maternelle », lors des Journées du Livre du Vin de Saumur, lui en est au final plutôt reconnaissant. « La Faute n’avait jamais été aussi aérienne que dans ces vapeurs de saumur rosé. L’ébriété lui allait bien. (…) Il faudrait que je la fasse boire plus souvent. »

Cet article est à consommer sans modération. Et ce livre à conseiller, pareil.

« Les larmes du vin », de Daniel Picouly, éd. Albin Michel, 314 pages, 19,90€

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