Mâle de crâne

Immédiatement remarqué pour son premier livre, «Anatomie de l’amant de ma femme », Raphaël Rupert revient avec une l’autopsie d’une migraine qui n’est peut-être pas tout à fait fictive. A la fois hilarant et infiniment touchant.

Avec « Anatomie de l’amant de ma femme » (en poche chez Folio)  qui cueillit comme une fleur le Prix de Flore – le titre était là, déjà, mais il y avait un  texte derrière le titre, un style, un humour ravageur, une  silencieuse mélancolie, un entre-lignes, une trame de fond, une vérité grimée en plaisanterie et si tout cela ne faisait pas de l’auteur un excellent Français, comme dit la chanson, ce fut en tout un bonheur de lecture. Je signale au passage, pendant que j’y suis, que j’ai connu une petite camarade qui disait toujours, en pinçant délicatement sa lèvre inférieure : « derrière toute plaisanterie, il y a un fond de vérité ». Derrière «Mes migraines », le deuxième roman de Raphaël Rupert (qui affiche une hache stylisée en couverture alors que l’ouvrage est publié aux éditions de « L’Arbre vengeur », voilà qui fait tronc commun) ajoute à cette attraction des pôles ceux du rire aux éclats et de la plus touchante émotion. C’est l’histoire d’Hector Schmidt, un ex-fonctionnaire ministériel, attaché administratif de classe B, ce qui vous pose sinon son homme, en tout cas son cul, sur un rond de cuir, exflitré à l’amiable du piège d’ennui dans lequel il végéta dix-sept ans. Hector est sujet aux prises de tête: il est la proie de dévastatrices migraines : comme Maupassant, comme Nietszsche, comme Balzac.

La notice de ce livre médicament
La notice de ce livre médicament

Mais en l’occurrence, les illustres migraineux ne sont que des photos sépia punaisées au mur de ses souffrances. C’est chic, c’est classe mais ça ne calme pas la douleur ni, encore moins, n’allège l’enclume qui vous pèse sur la tête, vous brouille le champ de vision, vous fait pulser le temps aux tempes, vous gaine le crâne d’un fer à cheval et autres sympathiques tortures  qui vous donnent l’envie d’aller hurler au fond des bois.

C’est d’ailleurs ce que fera Hector, parti, après diverses aventures diversement initiatiques et, parfois, pas piquées des hannetons, bûcheronner sur un coup de tête, non sans avoir fait étape au rayon haches d’une grande surface. Le passage est hilarant. Sa récolte aussi : une hache d’abattage, un merlin éclateur avec emmanchement douille-rase et un coupe-chou de camping.

Hector a une femme. Géraldine. Qui brille dans son boulot au point que le poste de Directeur (trice) Marketing France lui tend les bras. Et ceux d’Alain Delon aussi. Un homonyme de la star, à l’aise en toutes circonstances. Charismatique en diable, il n’a pas son pareil pour se passer la main dans cheveux.

Raphaël Rupert Photo Benoît Musereau
Raphaël Rupert Photo Benoît Musereau

Forcément, lorsque Géraldine disparaît du bureau un après-midi alors qu’un détail prouve à Hector qu’elle est sortie en mini-jupe et sans culotte, sa confiance en lui qui ne faisait déjà guère d’étincelles, ajoutée à une libido qui battait la breloque à contre-temps, ne sont plus que l’écorce d’un chêne qu’on abat. Entre burnes-out et panique à bord, vague à l’âme et malaise vagal, Hector doit aussi composer avec un événement pas si inattendu que ça : la fin programmée de son père, veuf d’une femme décédée à 25 ans. Hector n’a jamais éprouvé la moindre tendresse pour cet homme qui épuise sa descendance à force de clore les dîners par l’état des lieux de ses biens financiers qui figureront sur son testament.

Et pourtant, si Hector Schmidt n’a pas pleuré sur la tombe de sa mère si tôt aimée, si tôt partie, il s’est épanché sur celle de ce père qu’il n’aimait pas. Et vous voilà, lectrice, lecteur, après vous être marrés comme des bossu(e)s pendant cent quarante pages, plongés dans le cœur battant du sujet central, brusquement opéré à cœur ouvert. Ce roman danseur nous confirme que l’humour ne se forge nulle part ailleurs que dans le mystère de nos douleurs. Ceci dit sans se prendre la tête.

« Mes migraines », de Raphaël Rupert, éditions de L’Arbre vengeur, 179 pages, 17€

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