Petite bande, grand livre

Avec « La petite bande », premier roman au moteur hybride, Vincent Jaury décrit les trajectoires respectives de jeunes gens nés pour dominer le monde mais cueillis, au cœur de leurs failles, par l’âpreté que leur réserve l’existence.

Parfois, ce qui rend encore plus heureux d’avoir lu un bon livre et impatient de le recommander à notre entourage, c’est qu’il s’agit d’un premier galop. Non que Vincent Jaury, 46 ans, l’auteur de « La petite bande », soit nouveau venu dans le paysage.  En qualité de fondateur et patron de la rédaction du mensuel culturel Transfuge, il y batifole depuis un certain temps et a également dirigé deux recueils de nouvelles. Mais ce récit en tenue de roman, quoique assurément équipé d’un moteur hybride, exhale le parfum d’un talent qui a le souffle, la profondeur et le coffre de la durée.

C’est l’histoire d’une trajectoire partagée, depuis les années de collège, par un quintette d’amis élevés dans les beaux quartiers parisiens : ici le quartier d’Auteuil. Ils sont nourris au grain des beaux lycées : ici Jean-Baptiste Say où rôdent les mânes de Racine, Lamartine et Chateaubriand. Le temps se charge ensuite de les séparer. les défier, les toréer et leur montrer comment  la vie prend un malin plaisir à se montrer « plus âpre que prévu ».

Cette enveloppe générale qui se révèle donc aisément déchirable, comme ces lettres qui parviennent très mal en point dans nos boîtes aux lettres après s’être longuement égarées, est aussi pour Vincent Jaury (peut-être même est-ce qui en a déclenché le désir d’écrire ce texte) prétexte à se faufiler dans son propre passé. Une grand-mère peu aimée, déçue par le devenir de sa descendance, lui aura été dans ce domaine bien utile en lui léguant des cartons d’archives.

Vincent Jaury
Vincent Jaury. Photo Jean-François Paga

C’est l’un des volets de ce livre qui en compte trois dans un nombre resserré de pages. On y assiste, au sein d’un autre prestigieux établissement scolaire de Béziers, mais en 1944 cette fois, à un drame déterminant pour l’identité juive de l’auteur. J’ai songé au premier film réalisé par Sandrine Kiberlain, « Une jeune fille qui va bien », sorti au début de l’année. Qui ira, verra.

Publié dans cette jolie collection qu’est « Le courage », dirigée par Charles Dantzig et qui est un peu à la maison Grasset ce qu’est « L’Infini » à sa rivale Gallimard, « La petite bande », roman social à l’envers, parle au passé de l’avenir. C’est Retour vers le futur avec un vigoureux coup de plume sur le doux désir de durer crocheté par les failles des uns et des autres. Jaury en donne les raisons et laisse le champ de bataille semé de convalescents estropiés de l’âme et autres victimes collatérales encore plus brutalement atteintes. S’y glisse en trame, dans un style qui vous tient en laisse, le portrait à la gravure douce d’un monde d’aristocrates et de bourgeois (je parle de l’environnement familial) corsetés dans leurs ambitions piétinées par le monde qui va.  Et surtout l’humble sensation d’une écriture bercée d’une enivrante, élégante et polie mélancolie. Alors tant qu’à boucler la boucle je vous invite, chère lectrice, cher lecteur, à reprendre cet article depuis le début. Tant il est vrai qu’en matière de prétention et quand il s’agit de faire le malin, ce site ne se refuse rien.

« La petite bande », de Vincent Jaury, éd. Grasset, 135 pages, 15€

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