Révélé au monde entier avec son « Autobiographie d’une courgette », oscar du film d’animation, Gilles Paris, auteur aussi sensible que prolifique, mais toujours émouvant et d’une grande justesse d’écriture, publie sans doute, avec « Le bal des cendres », son roman le plus intimement inflammable, qui résume son art de (se) raconter.
Si d’aventure vous n’avez jamais lu un roman de Gilles Paris, envisagez cette rencontre sous l’angle de l’impatience. Pas tout de suite la vôtre, chaque chose en son temps – il ne faut rien forcer, ça viendra au fur et à mesure, lorsque vous ne pourrez plus faire autrement que de vous demander pourquoi vous avez tant tardé – mais la sienne. Celle qui bruisse comme cent ruisseaux sous la phrase, ces territoires du sensible qui sont son encrier, qu’il installe avec une fébrilité contenue, cette parole donnée et promise à l’écriture qui l’a très visiblement sauvé et qui le rend reconnaissant. Tendez l’oreille interne, écoutez entre ses mots ce chant du désir.
Voyez ce « Bal des cendres », sans doute le plus inflammable, le plus délicatement dense, le plus près de sa peau. Et pourtant « Certains cœurs lâchent pour trois fois rien », son précédent, mais avant aussi « Un baiser qui palpite là comme une petite bête », ou l’impressionnant « Vertige des falaises » qui semble faire écho à celui-ci, enfin bien-sûr « Autobiographie d’une courgette », dont l’adaptation animée au cinéma triompha jusqu’aux Oscars, étaient déjà sa peau. Mais avec la doublure de soie du roman. En la matière, Paris a toujours été Paris, s’habillant chic dans un style élégant et souple, sans affectation, fringant mais pas fringué. C’est un garçon près du peuple, de ses espoirs et de ses larmes. Ecrire haut, sous sa plume, c’est chuchoter. Comme dirait Brassens, c’est un modeste, mais qui a de l’ampleur et, dans ses cavales solitaires, Paris ne connaît qu’un chemin, celui du cœur.
Voyez donc, (je tire des bords très larges quand je m’émeus dans un papier, papier bavard), ce « Bal des cendres », roman choral en trois parties qui se situe sur l’île éolienne de Stromboli du volcan qui la signe. Paris aime assez les romans choraux. Si la littérature doit être une fête, alors qu’elle le soit à plusieurs, ici plus de 20 personnages : des Strombolani et des touristes qui ont tous un lien étroit et un passif avec cette île. Il y a Giulia, Guillaume, Lior, Matteo… Chacun témoigne de sa vie à tour de rôle, son ‘ressenti’ comme on dit aujourd’hui lorsqu’on veut exprimer notre relation à la température, laquelle ici est très chaude. Ils sont pour la plupart employés à l’hôtel-restaurant Le Strongyle tenu par Guillaume et Matteo. Tous savent le danger à vivre au pied d’un enfer programmé mais ils l’acceptent. On s’en doute, sinon l’auteur ne jouerait pas avec le feu, ce livre est aussi un roman d’amour très volcanique, très… éruptif. Gilles Paris parle de ce qui l’a forgé : les amours masculines, mais avec une pudeur caressée de sous-entendus. Alors, homos, hétéros, binaires, non binaires ou ce que vous voulez (comme Paris reste Paris, la chair reste la chair), vous allez vous brûler à ce souffle et ce soufre angéliques car les deux sont liés, et vous aurez vous aussi envie, si le cœur vous en dit, d’aller physiquement faire connaissance avec les lèvres du volcan. Fermer les yeux au baiser des cendres vives.
« Le bal des cendres », de Gilles Paris, éd. Plon, 304 pages, 19 €