Les éditions arléa rééditent, vingt ans après sa sortie et enrichi de nombreuses nouvelles entrées, le très savoureux ‘Dictionnaire des clichés littéraires’ de Hervé Laroche. Précipitez-vous.
Voilà une formule qui devrait servir de viatique à quiconque se pique d’écrire. Elle est de Céline : « le style, c’est le mot qu’on n’attend pas. » Réédition très sensiblement – « considérablement » – augmentée d’un ouvrage paru en 2003, voici en collection de poche aux bons soins d’arléa, « Le Dictionnaire des clichés littéraires », un savoureux ouvrage signé Hervé Laroche, « entomologiste » de tout un langage attendu propre à affaisser un roman, à lui grignoter le plancher, lui termiter les poutres, lui rococotter la déco, lui refiler un luminaire d’occase qui jettera une ombre molle sur tout ça. L’auteur voulait polir du marbre, il remue du placoplâtre. J’essaie d’écrire ce papier sans clichés et j’aimerais bien en être félicité.
Vingt ans après, une centaine de nouvelles entrées sont donc de sortie. A côté des clichés du journalisme – « Le journalisme sans peine » de Michel-Antoine Burnier et Patrick Rambaud (1997) – du costaud, là aussi, qu’il m’était assez kamikaze d’ouvrir – revoici donc, gonflée de nouveaux biscotos, cette collection de perles en toc, de fausses fourrures littéraires (tant que c’est littéraire, ça passe et aucun animal n’a été maltraité), de mariages un peu trop paresseusement arrangés, et autres apparentements pas terribles (merci le Canard Enchaîné), qui sont censés apporter de la grâce et ne fournissent que de la graisse. Mauvaise, ça va de soi.
Faire joli est un poison subtil. C’est la mission du cliché. En appliqué chien truffier, et sous une couverture années 50 qui rappelle certaine collection romantico-nunuche qui s’abreuvait de clichés comme un beluga de plancton, Hervé Laroche, qui pratique aussi nous dit-on, la photo, leur a tiré le portrait. Il se trouve que l’auteur compte un homonyme aujourd’hui disparu et qui fut une figure de la Résistance. Face à l’invasion du banal, cet essai utile à notre bonne santé – c’est peu de dire qu’on se marre – et qui propose en préambule des séances d’assouplissement – est aussi, à sa façon, un acte de résistance à la tentation du relâchement, pour ne pas dire de la paresse.
La preuve par onze (pas cliché), picorons (cliché) et pillons (pas cliché).
Amande : « les yeux doivent être fendus en amande. C’est touchant. S’ils sont fendus autrement, ins ne sont qu’une mince fente, et ce n’est pas beau. »
Bannir : « à jamais, sinon ce ne serait pas la peine d’en parler. »
Ciseler : « finement, s’il s’agit d’un objet. On polit patiemment, mais on cisèle finement ».
Désastre : « Une fois que le désastre est advenu (…) il convient d’en mesurer l’ampleur. »
Extirper. « Préférable à sortir. Ce qu’on extirpe, on l’exhibe ou on le brandit ».
Gorge : « deux types, nouée ou serrée ».
Mâchoires : « sujettes au serrage ou à la crispation ».
Pavés : « toujours inégaux, gras, glissants, disjoints ».
Semer : « toujours derrière soi ; on ne sème jamais sur le côté, encore moins devant ».
Tancer : « toujours vertement ».
Voûte : chaque fois qu’on passe sous une voûte, ne pas manquer l’occasion d’y faire résonner ses pas.
« Dictionnaire des clichés littéraires », de Hervé Laroche, éd. arléa, 274 pages, 10€