Bonheur, papilles et papeterie

Les éditions Picquier publient, l’un en poche, l’autre en nouveauté, « Le Restaurant de l’amour retrouvé » et La papeterie Tsubaki », deux romans de l’auteure japonaise Ogawa Ito. Délicieuses pâtes feuilletées.

Déguster, savourer, dévorer…Souvent, les lecteurs des pages feuilletées décrivent ainsi le plaisir gourmand qu’elles procurent. Une facilité trop souvent réchauffée. Pourtant, on ne saurait comment mieux faire pour évoquer les romans de Ogawa Ito. A juste titre puisque le premier roman d’Ogawa Ito s’appelle Le Restaurant de l’amour retrouvé. Jusque-là auteure de livres pour la jeunesse enfants, elle s’est tournée vers les grandes personnes pour leur livrer un conte. Il s’agit d’une aventure insolite située dans le lointain Empire du Soleil Levant.

C’est l’histoire d’une jeune fille, nommée Rinco, abandonnée par son fiancé et qui retourne dans son village natal. Elle y ouvre un restaurant, « L’Escargot », dont la caractéristique n’est pas banale : l’établissement ne dispose que d’une seule et unique table.

Couverture Le restaurant de l'amour retrouvé

Pour y prendre place, les clients – couple, famille, dîneurs solitaires – doivent au préalable s’être entretenus avec elle. A la suite de quoi elle leur cuisine un délicieux repas sur-mesure.

De nombreux personnages, parmi lesquels sa mère « indigne » et son cochon Hermès, animent ce récit sensuel qui révèle, mais avec pureté et simplicité, les complexités de la nature humaine.

Même fraîcheur et même modestie pour La papeterie Tsubaki qui tient de l’épure. Ici, une autre jeune femme, Hatako, prend soin des autres avec de l’encre et du papier. A la mort de sa grand-mère, « L’Ainée », elle a repris sa papeterie où l’on ne vend pas que des outils et des supports d’écriture. Car Hatako est aussi écrivain public. A ce titre, elle rédige avec le même soin lettres de ruptures ou faire parts de mariage, regrets, reproches ou remerciements, longues missives ou brefs billets. Transmis par son aïeule, son art épistolaire, tout de tact et de sensibilité, passe par la calligraphie, le choix du papier, de la plume et jusqu’au timbre.

Couverture La papeterie TsubakiT

A l’instar des plats de Rinco, les lettres de Hatako déclenchent ou réveillent des correspondances lointaines. Chacune témoigne d’une rare attention à l’autre au point d’en être le précieux porte-parole puisqu’il ne suffit pas de comprendre l’expéditeur-émetteur mais aussi le récepteur.

On l’a dit, une sensualité à fleur de peau, voire sous-cutanée, court en trame de ces deux romans d’une telle précision de récit qu’ils semblent être le fruit d’une ascèse hédoniste. L’écriture de Ogawa Ito, très respectueusement traduite par Myriam Dartois-Ako, se marie au grain du papier, sa douceur et ses aspérités. Avec force mais sans violence, elle circule sur cette bande si étroite et si fragile que sont les contingences décisives.

Habité de silence et de solitude, l’univers d’Ogawa Ito porte sur le monde un regard d’un réalisme bienveillant. Aux fourneaux comme sur le papier, Rinco et Hatako pratiquent l’une et l’autre un art de vivre essentiel : nourrir et correspondre. Plus que des activités ce sont des actions de grâce.

Jean-Michel Ulmann

Le restaurant des amours retrouvés. Ogawa Ito. Traduit par Myriam Dartois-Ako. Ed. Picquier poche, 224p, 8,00

La papeterie Tsubaki. Ogawa Ito. Traduit par Myriam Dartois-Ako.  Ed. Picquier. 384p, 20,00€

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