Alcie soit-elle

Il vient de recevoir le Grand Prix Sacem de la Chanson française. Car Jérôme Attal, derrière la dizaine de romans qu’il a publiés, est aussi un auteur compositeur interprète, parolier pour de nombreuses stars de la scène musicale, de Vanessa Paradis à Johnny Hallyday. Mais l’auteur des « Jonquilles de Green Park » ou de « La petite sonneuse de cloches » aime aussi écrire pour la jeunesse. Cette fois, avec l’illustrateur Fred Bernard, il signe « Alcie et le Pensionnat d’Alcatroce ». Mais au fait ? Comment s’y prend-t-on, dans un monde plein de tentations numériques comme le nôtre, pour captiver les jeunes lecteurs ?

Écrire une histoire pour la jeunesse, c’est une occasion de puiser dans la sienne ? Par un souvenir ? De pensionnat, par exemple ? Ou de superpouvoir ?

En fait, c’est surtout une occasion d’aborder l’écriture comme une fantastique aire de jeux. De la même manière que lorsqu’à huit-dix ans je rentrais dans ma chambre et inventais des histoires avec mes playmobils. J’étais un enfant unique, j’avais pas mal d’amis, mais ce que je préférais c’était le soir, avoir le droit de jouer avec mes figurines et pouvoir inventer des histoires, recomposer la réalité. Je n’ai jamais cessé de faire ça. Les mots ont remplacé les figurines.

A quel niveau de contraintes est-on soumis ? Autrement dit, y-a-t-il, plus ou moins définie, une charte ?

Mes éditeurs m’ont fait confiance. J’ai inventé l’histoire sans contraintes. Par contre, le livre est à partir de huit ans, alors bien sûr il ne faut pas effrayer les jeunes lecteurs. Je me souviens que dans le tome 1 : Alcie et la forêt des fantômes chagrins, le cousin d’Alcie, Tractopaul, a des amis avec lesquels il joue en réseau à des jeux violents. Il a décidé de les inviter pour son anniversaire et quand ceux-ci arrivent il s’aperçoit avec désarroi que ce sont des adultes en treillis avec tout un arsenal, fusils, mitrailleuses. Mes éditeurs m’ont demandé de trouver une parade pour ne pas mentionner les armes à feu, alors c’est devenu des fusils et des mitrailleuses à pâte slim. Ce qui est devenu aussi plus amusant à dessiner pour Fred Bernard.

Et dans la forme ? Il y a des changements de caractères, des phrases en gras, des onomatopées en gros… Il faut faire « bouger » le récit ?

Oui, c’est très important de faire bouger le récit, c’est pour cela que j’ai aussi inventé le personnage de l’histoire. L’histoire du livre se rebelle, intervient, fait des commentaires sur ce que l’auteur lui fait écrire. Elle devient complice de la lectrice ou du lecteur. Je pense souvent à cette phrase de Roald Dahl qui dit que quand on écrit pour les enfants, il faut qu’il se passe le maximum de choses possibles pour capter leur attention, car il y a toujours la tentation de la télé dans la pièce d’à-côté. Aujourd’hui c’est pire, car le danger n’est pas la distance avec la pièce d’à côté, mais le téléphone qui est à portée de main. Donc, il faut être captivant. Mais peut-être pourrait-on dire la même chose des romans adultes…

Le jeune lecteur doit-il s’identifier aux héros, ici Alcie et Hugo ?

Oui, peut-être même avec plus de plaisir que dans les livres adultes. Je veux dire, c’est plus sympa d’avoir huit ans et de s’identifier à Alcie ou Hugo, que d’en avoir trente et de s’identifier à Madame Bovary chez Flaubert…

Dans « Alcatroce », il y a « atroce ». N’y- a-t-il pas de quoi faire peur à un môme ou à ses parents ? Ou c’est moi qui suis dépassé par la course du temps  et c’est un super argument de vente ?

J’espère que le jeu de mots fera sourire. Et puis le dessin est là pour désamorcer l’aspect inquiétant de cet « Alcatroce ». C’est le grand bonheur de ce livre pour lequel Fred a dessiné énormément. Au départ, mon idée était de donner notre version de tout ce qu’on aime chez Roald Dahl et Quentin Blake, et puis Fred qui a travaillé sur le texte a fait beaucoup de dessins. Dans le récit, chaque fois que la peur est présente dans le livre, j’essaie de la désamorcer par de l’humour ou de la poésie. C’est comme l’histoire des fantômes d’Alcie. Ces fantômes apparaissent dès qu’elle a du chagrin, ils naissent de ses soupirs de tristesse. Elle pourrait en avoir peur, ou leur en vouloir. Eh bien non, elle va s’en faire des alliés !

Alcie et le Pensionnat d’Alcatroce peut se lire, c’est noté sur la quatrième de couv’, dès l’âge de huit ans. Et jusqu’à quel âge ?

Il y a plusieurs niveaux de lecture, bien sûr. Après, dans l’idéal, quand j’aborde la première page d’un roman, c’est avec les yeux d’un enfant de huit ans.

Vous souvenez-vous du premier livre sans image que vous avez lu enfant ?

J’ai lu très tard. J’étais encore trop bébé au lycée pour apprécier les livres au programme. L’autre jour j’avais une chouette conversation avec l’autrice Stéphanie Hochet. Elle me disait : «Moi, à quatorze ans, j’avais lu tout Proust », «Ah zut, lui avouais-je en retour, moi je n’avais lu que des Marvel Comics ». Ce n’est pas loin de la vérité, et franchement, on apprend beaucoup sur le plan narratif dans l’univers Marvel. Les premiers livres qui m’ont marqué, sans images et dont je me souviens, c’est vers vingt ans, je lis La côte sauvage de Jean-René Huguenin, La vie matérielle de Duras, les nouvelles (Nine stories) de J.D. Salinger, et L’idiot de Dostoïevski dans la traduction d’André Marcowicz. C’est un choc et le début de mon amour fou pour les romans. Mais pour en revenir aux livres jeunesse, les deux premiers livres que m’ont offert mes parents sont « Charlie et la chocolaterie » de Roald Dahl et « L’opéra de la lune » de jacques Prévert. Je crois que depuis, dans chacun de mes livres jeunesse, je n’arrête pas de chercher la poignée de main entre Roald et Jacques.

Vous êtes auteur, compositeur, interprète, parolier… Quelles sont les passerelles avec l’écriture au long cours, et précisément ici pour l’édition jeunesse ?

Je ne fais trop la différence entre les chansons, les romans adultes et jeunesse. Quand j’ai une émotion, j’ai plusieurs supports où l’explorer, la définir ou l’enfouir. Parfois, une émotion forte, une rencontre avec une personne qui me bouleverse ou une anecdote qui me touche, se retrouvera à la fois dans Alcie, dans un roman adulte, et dans une ou plusieurs chansons. Faire des passerelles entre tous ces domaines est quelque chose qui m’intéresse beaucoup, qui est devenu une partie intégrante de mon travail. Et que ce soit en trois couplets et deux refrains, ou sur près de trois cents pages, l’intention principale reste pour moi là même : être sincère.

Alcie m’a tout l’air d’être bien partie pour revenir…

Oui j’espère, tout dépendra du succès… Les temps sont difficiles pour la culture, mais les librairies sont des phares dans toute cette incertitude, et Alcie m’apprend à être courageux, volontaire et optimiste !

« Alice et le pensionnat d’Alcatroce », de Jérôme Attal et Fred Bernard, éd. Robert Laffont Jeunesse, 238 pages, 12,90€

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