Ecrit « à quatre mains et deux nez » par deux spécialistes des parfums, l’un parfumeur, l’autre journaliste, ce « Petit lexique des amateurs épris d’odeurs et de parfums » est un absolu, surprenant et palpitant bonheur de lecture. On en sort au parfum sur un tas de choses à commencer par cet univers qui nous est totalement inconnu. Et tout ça sent la très bonne idée de cadeau.
Sans vouloir cotiser à l’humour facile tout en m’y prêtant quand même très volontiers, voilà un livre qui sent bon le cadeau de fin d’année. Il est en tout point élégant, agréable à regarder autant qu’à manier. Chez Actes Sud, les volumes savent se faire désirer, imposer une forme de résistance. Ils ont un côté Gréco, Juliette, déshabillez-moi mais pas trop vite. Et le grammage de celui-ci ajoute à cette sensuelle exigence de qualité.
Voilà pour le flacon, passons au contenu. Il est question de parfums mais sous un angle captivant. Notez, avant d’aller plus loin, que les auteurs en connaissent un brin en matière olfactive. Jean-Claude Ellena, qui est né à Grasse, patrie de Galimard, avec un seul ‘l’, est parfumeur. Il a notamment, pendant quatorze années, exercé la fonction de « Nez exclusif » au sein de la maison Hermès. Lionel Paillès est journaliste et essayiste. Les médias, en presse écrite comme en télévision, se penchent avec reconnaissance sur ses expertises. Il a eu le nez, lui aussi, de suivre sa passion. Humour facile (bis), ne nous refusons rien.
En quoi ce « Petit lexique des amateurs épris d’odeurs et de parfums » est-il passionnant ? Parce que plus que les parfums, ce sont les mots qui s’y rapportent, 170 en tout, qui occupent ici le devant de la scène, de A comme ‘Absolu(e)’ à ‘T comme Touche à sentir’ : ces baguettes en papier buvard que les parfumeurs agitent sous leurs narines « pour évaluer le sillage que donne un parfum » et plus encore avec un peu de patience.
Il ne faut pas louper l’avant-propos des auteurs dont vous ne trouverez pas la trombine en illustration de ce papier. Le service de presse nous informe qu’il n’en dispose pas. Cette humilité les honore et me rappelle ces critiques gastronomiques dont le visage n’apparaît nulle part. Mais revenons à nos effluves lexicaux. Dans ce préambule donc, Ellena et Paillès expliquent qu’ils ont désiré, « à quatre mains et deux nez », montrer « que les odeurs et les parfums ne sont ni anodins ni inoffensifs, que l’air qui les porte jusqu’à notre nez nous conduit à inventer des codes, des préjugés, des sens différents en fonction de nos croyances, et qu’ils influencent manifestement nos perceptions, nos comportements et nos imaginaires ». Et de conclure : « Chaque mot, technique, théorique ou sensiblement plus poétique, a été choisi pour son sens, son pouvoir d’évocation, parfois même pour sa sonorité ». De fait, ils sont nombreux, ces vocables qui ne nous étaient jusqu’alors jamais parvenus aux narines. Cueillons, au hasard de ce bouquet de senteurs, ceux d’’enfleurage’, de ‘communelle’, d’’hélional’, d’’Osmanthus’, de ‘pélatrice’, d’’ambrox’ et d’’attar’, d’’aldéhyde’, de ‘marjoliane’ (oui, oui, le i avant le a) et autres coumarine. On relève au passage que les noms de molécules ou de « composés organiques chimiques » ne sont pas les moins poétiques.
De toute façon, cet ouvrage exhale à chaque page une foultitude de surprises et d’informations sur un art et une industrie qui font songer au principe des poupées gigogne. Sans jamais être la proie d’un didactisme qui aurait été plus encombrant qu’efficace – et les auteurs y parviennent les doigts dans le nez (humour facile, ter) – on y descend en rappel dans un kaléidoscope d’éléments, olfactifs mais pas seulement. Les couleurs, les souvenirs de vacances, le cinéma, l’érotisme, l’esthétique, la peau de l’agrume (le « sourire » du métier), le goût du sang, et celui du baiser (magnifique entrée à ce sujet), l’odeur des villes, la puanteur flottante du vomi des cachalots, les génies créateurs oubliés (qui avait entendu parler de la pétroleuse Germaine Cellier, championne de la « dissonance », compositrice de « Bandit » ?), la jolie signification de l’ «heure bleue » où les oiseaux ont leur mot à dire, la littérature – Giono en tête – l’illusionnisme… Stop ! Les énumérations finissent toujours par cocotter. N’empêche, ainsi qu’il est rappelé à la page 24, « un parfum n’est pas un monologue » et sa composition « est souvent comparée à celle de la musique ». La petite musique diffusée par Ellena et Paillès est une partition de grand orchestre.
L’un des aspects les plus inattendus de cet essai touche paradoxalement à l’envers de son propos. La fougère en est un exemple. La fougère ne sent rien. Ce qui n’a pas empêché de fabriquer un parfum qui portait son nom. Le passage sur les fleurs dites « muettes », c’est-à-dire, on l’a compris, qui ne dégagent aucune odeur utile à traiter, est palpitant. « En réalité, écrit Lionel Paillès, la liste est longue des fleurs aphones qui ne donnent rien olfactivement, ou si peu qu’on ne peut en extraire aucun parfum : œillet, violette, jacinthe, gardénia, pivoine, freesia, lilas, muguet, chèvrefeuille et lys. Toutes ces fleurs désespérément silencieuses ne procurent en effet ni essence ni absolu à se mettre sous le nez ». Et d’enfoncer le clou qui n’est pas de girofle. « Que les choses soient claires : on ne trouvera pas trace de vrai muguet dans un parfum dit « au muguet » ; ni de jacinthe dans une création baptisée « Sublime Jacinthe. » S’ensuivent des développements purement synthétiques. Et vous savez quoi, même dans ce cas, au plus profond de la science et de la chimie, on reste épris.
« Petit lexique des amateurs épris d’odeurs et de parfums », de Jean-Claude Ellena et Lionel Paillès, éd. Actes Sud, 245 pages, 25€