Cherhal nous offre un bouquet d’eros

Servi par la ligne simple et souple de l’illustrateur Simon Frankart, alias Petites Luxures, « Couleurs primitives » rassemble trente poèmes de Jeanne Cherhal qui célèbrent le désir et l’étreinte avec une infinie délicatesse et une délicieuse malice.

Si la vie moderne était un nuancier ça se saurait. Mais il faudrait auparavant l’avoir débarrassée de ses vacarmes, de ses impatiences, de ses egos, de ses injustices, de ses fonds de pension, de ses promoteurs, de ses dictateurs, de tous ceux qui ne savent, ou ne veulent, pas douter, de sa course à l’échalote et à la vitesse, du goût pour le pouvoir, de l’équilibre de la terreur, des gens qui massacrent les bêtes – il faut bien commencer par l’innocence de l’innocence – puis qui se massacrent entre eux et faut-il continuer ?

Reste l’amour. Refuge toujours recommencé.

Illustration
Poème Foujita. Illustration Petites Luxures, alias Simon Frankart

Justement le voici : l’amour et sa valse érotique, ouatée de porcelaine, dans un album de poèmes et de dessins, de sons camouflés et de seins, de culs doux comme des oreillers, de concerts de hanches, de veloutés de mots et de soupirs, de traits qui sont des courbes, de malice sensorielle (le contraire de censure), de souffles répandus dans la phrase, d’ondulations en tout genre. On doit cette ode au désir à Jeanne Cherhal pour les poèmes, et au dessinateur Simon Frankart pour les illustrations. La première n’est plus à présenter, à qui l’on doit, entre autres, ce très bel album qu’était « L’eau », et ce non moins très beau titre qu’était « Je suis liquide », sans parler du « Feu au joues ». Cherhal est aussi, on le sait moins, l’auteure d’un roman, « A cinq ans, je suis devenue terre à terre » (Points Seuil, 2020). Quant au second, il triomphe sur Instagram avec sa page « Petites luxures ».

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Rien de glauque dans Glauque mais une vague de désir (illustration Petites Luxures)

La couverture de cet album de trente poèmes est d’un dense et très primitif vert bouteille représentant des abysses en apesanteur (oui, oui, c’est possible). S’y s’enfonce, tête la première et fessier en dernier, l’avatar de Cherhal façon naïade. On plonge à notre tour dans ces pages et tout y est simplement splendide de pureté de traits et de mots. Si la poésie est sans doute la meilleure façon d’aller chercher l’instant entre les lignes, la ligne de Frankart est tout aussi idéale pour faire l’amour aux mots. Tout est léger dans ce livre qui fait songer à cette merveilleuse chanson de Catherine Le Forestier, “Au pays de ton corps”. Tout se tient en équilibre d’un mouvement, d’une pointe de danse classique, d’en envol de papillon mais qui prendrait son temps pour naviguer sur l’air. Rien n’est lourd, rien n’est glauque contrairement à ce titre provocateur d’un poème où s’annoncent les tempêtes. Notons qu’il se trouve page 69.

Jeanne Cherhal. Photo Jean-François Robert
Jeanne Cherhal. Photo Jean-François Robert

Le clavier de Jeanne emprunte toutes les variations de la forme poétique: octosyllabe, haïku, alexandrins…. « Mauve » est un doigt promené sur une peau de satin. « Dessine mes vaisseaux traversés de bruyère / Crée au fil de ma peau un frisson immobile… » « Pelage » célèbre le poil de l’homme : « Je veux pouvoir me cacher toute entière/ Sous les buissons chauds de tes bras (…) ». « Translucide » est un massage personnel huilé d’onguents, de baume et de jeux de paumes. Et voici ce qu’on lit sous le titre “Etoile”: “La Voie lactée tenait entre ses deux épaules/En dévoilant parfois un astre méconnu. Il était constellé sur chacun de ses pôles./ Et je lisais le ciel entier sur son dos nu.

En fin de volume, une reproduction de brouillons et de ratures dit comment l’inspiration érotique, avant d’être harmonie, est un fameux et charmant désordre. Merci, Jeanne, pour ce bouquet d’eros.

« Couleurs primitives – un nuancier érotique », de Jeanne Cherhal et Petites luxures, éd. Gründ, 152 pages, 29,95 €

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