Tandis que chaque nouvelle journée s’allège de quelques minutes de lumière en moins, Des Minutes de lumière en plus reprend du service en commençant par l’Edito à ma façon, folâtrement vagabond.
Les fins d’été invitent à ce qu’on se retourne sur elles comme un flâneur se retourne sur une passante. Cf la chanson si merveilleuse de Georges Brassens dont on peut se demander si elle ne défriserait pas aujourd’hui le nouvel ordre de la pensée. C’est qu’on finit aujourd’hui par avoir peur de tout, des choses les plus simples, les plus naturelles au monde. Mais là-dessus, comme les passantes, passons.
Chaque année je me retourne sur l’été et son sillage en me souvenant que j’ai tellement rêvé de sa cargaison de fleurs, de son miel et de ses lumières. Oh les beaux jours, s’exclame sans point d’exclamation Samuel Beckett. Et chaque année, je me dis que l’été n’est pas la plus imaginative des saisons. Les journaux télévisés en témoignent, contraints de recélébrer l’aire d’autoroute d’Allan, près de Montélimar, la plus vaste de France.
Au fond je préfère le printemps. Surtout son premier jour. Quand tout n’est pas parfaitement au point. Parfois il y fait froid ou moche. Le Printemps sera-t-il pourri ? Suspense toujours recommencé. Ma mère n’aimait pas le printemps. Surtout quand il faisait beau. Elle trouvait ça vaguement obscène. Les premiers clients aux terrasses des cafés la regardaient passer et ça la gênait. Qu’ils aillent se faire voir eux-mêmes.
Elle préférait la Toussaint, l’attendait comme le Messie. Un bon ciel lourd et chargé sur les tombes était son printemps à elle. Elle voletait là-dessus comme un étourneau avec un arrosoir. Le monde était en ordre.
L’autre matin, au jardin des Plantes de Nantes, j’ai ramassé ma première feuille d’automne, toute perlée de rosée, multicolore avec ses dièses d’or et ses bémols de rouge. L’automne est beau parce qu’il est toujours haute-couture.
Là-dessus c’est la rentrée, la littéraire rentrée. Notre précieuse exception culturelle. Surtout n’y touchons pas. A force de toucher à tout, on va finir par casser le matériel. Quatre cent soixante-six livres ? Et alors ? Tant que ce ne sont pas quatre-cent-soixante-six Chat GPT.
A Nancy le premier salon de la rentrée, Le Livre sur la Place, s’est enveloppé de chaleur humaine et météorologique. La littérature s’y est joyeusement éventaillée, selon le mot de Sara Forestier dans le film « L’Esquive » d’Abdellatif Kechiche. De vendredi à dimanche, un monde fou s’est pressé sous les tentes de la place de la Carrière. Cela faisait plaisir à voir. On en oubliait presque le contexte d’un monde de l’édition inquiet du paysage à venir.
N’empêche, la nouvelle commissaire de l’événement, Sarah Polacci et son équipe ont tout lieu d’être heureuses. Oui, oui, cet édito ne recule pas devant les coups de chapeau.
Julie Héraclès y a remporté le prix Stanislas du premier roman pour « Vous ne connaissez rien de moi », chez JCLattès. Voilà le genre de prix qui mérite toute notre attention car Groupama, son mécène, ne se contente pas de doter le prix d’un montant de 3000 euros. Il invite, sur lettre de motivation, les salariés de l’entreprise à vivre l’expérience d’être jurés. Leur lecture est impressionnante de précision. Il y a des leçons à prendre.
Comme tous les habitants de Chartres, la lauréate de ce cru 2023 a été marquée par l’image du photographe hongrois Robert Capa prise dans sa ville natale. On y voit une femme tondue, coupable d’avoir couché avec l’Occupant. Le front marqué, tenant son bébé dans les bras, Simone y est conspuée et raillée par une populace devenue tout à coup, et très confortablement, iconique de la France résistante. Cette scène orne en bandeau la couverture du livre. Elle m’avait profondément marqué lorsque je l’ai découverte, adolescent, dans un magazine. J’en ai exploré chaque visage, chaque attitude. Jusqu’à entendre les huées et les ricanements. Même quand elles racontent le silence, les bonnes photos sont sonores.
Le Canard Enchaîné soupçonne la présidente du jury – cette année, la journaliste et romancière Clara Dupont-Monod – d’avoir pesé sur le vote, par ailleurs proche de l’unanimité, sous prétexte qu’elle est éditrice chez JCLattès. Il se trouve que je figure dans ce jury par ailleurs, je le rappelle, composé pour moitié par des membres de Groupama, lesquels se moquent bien du nom de l’éditeur. C’est, de la part du Volatile, leur accorder bien du mépris. Sans parler de l’auteure. Quant à moi, je dois être le ravi de la crèche car je ne savais même pas que Clara exerçait ces fonctions au sein de la maison. Quelle cachottière celle-la ! Il est clair que si elle avait pris la précaution de m’en informer, j’aurais immédiatement voté pour ce roman. Avec un petit chèque, ça va de soi.
De fait, cher Canard que je lis depuis l’âge de 14 ans sans avoir jamais sauté une semaine (le numéro titrait : ‘la France compte 50 millions de sujets sans compter le soja de mécontentement’, je m’en souviens encore) il faut avouer la vérité. Nous cherchions une primo-romancière dont le nom rime en ès : Héraclès, Lattès, c’était idéal.
Sinon, la première liste Goncourt est tombée. Elle a fait son petit effet. Gallimard y a tissé sa toile. Le Canard enquêtera-t-il là-dessus ? Je mise en attendant sur « Suite inoubliable » du romancier japonais Akira Mizubayashi, passionné de musique classique et qui écrit en français. Son précédent roman, « Ame brisée » avait reçu le Prix des Libraires en 2020. Il y est ici question, une nouvelle fois, sur une trajectoire de 1945 à nos jours, de l’âme d’un violoncelle, soit une pièce de bois d’épicéa placée à l’intérieur de la caisse de résonance des instruments à cordes.
J’ai demandé à ma chère violoncelliste Anne-Charlotte Jan Muger où se trouvait exactement cet élément ultrasensible. Elle m’a envoyé cette photo et cette réponse: “derrière, au niveau du dos, au milieu”. Puis j’ai tourné la page et c’était expliqué, croquis à l’appui. “Suite inoubliable” a-t-il ses chances au Goncourt comme j’ai avec un suicidaire optimisme (ma marque de fabrique) l’air de le garantir? J’aimerais tant. Il appartient à ces romans qui reposent sur un univers méconnu mais c’est pour mieux s’approcher du mystère universel: à savoir l’amour entre deux êtres et deux âges.
A Nancy le musée des Beaux-Arts, place Stanislas, est à chaque étage époustouflant. Retrouvez-y deux enfants du pays au charme absolu, un peu trop oubliés : Victor Prouvé (1858-1943) et Emile Friant (1863-1932). De ce dernier, « Les amoureux » est, dans la récente histoire de l’art, l’un de mes tableaux préférés.
Je vous laisse avec cette oeuvre et vous souhaite, à l’heure où des minutes de lumière en moins caractérisent le cours des jours, un automne romantique et mordoré comme on les aime. Avec en prime, Des minutes de lumière en plus et une nouveauté désormais quotidienne.
Commentaire
Jean-Michel Ulmann
Salut à toi, Pierre, tu as l'art et la manière mordorée d'éffeuiller la rentrée littéraire. Les femmes de lettres que tu as rencontrées en passant […] En savoir plusSalut à toi, Pierre, tu as l'art et la manière mordorée d'éffeuiller la rentrée littéraire. Les femmes de lettres que tu as rencontrées en passant par la Lorraine te regardent avec la douceur de la bergamote et la malice des mirabelles à l'eau de vie. Tu donnes envie de lire entre les lignes la suite de tes aventures. A suivre Read Less
Pierre Vavasseur
to Jean-Michel Ulmann
Merci de ta lecture et de ta patience, Jean-Michel. Je boucle une grande boucle et je t'appelle! Demain par exemple. Oui, oui, mercredi, jour des […] En savoir plusMerci de ta lecture et de ta patience, Jean-Michel. Je boucle une grande boucle et je t'appelle! Demain par exemple. Oui, oui, mercredi, jour des enfants! Ma main amie, Pierre Read Less
Jean-Michel Ulmann
Cher Pierre, tu as merveilleusement éffeuillé cette rentrée mordorée.
Pierre Vavasseur
to Jean-Michel Ulmann
Voir ci-dessus, ou dessous. Voire...