PREMIERS ROIS ET REINES DES PRIX LITTERAIRES

Un couple de monarques, le Palais de la Légion d’honneur, un Elysée à Montmartre et Deux Magots inflationnistes : la littérature ne s’est pas mouchée du pied pour remettre de prestigieux premiers prix littéraires d’automne. En voici déjà quatre. A suivre demain.

Il fallait avoir la vocation chevillée au corps (mais je l’ai) pour rejoindre ce jour-là la terrasse Publicis dans un quartier plus bouclé que Fort Knox. A la station Charles de Gaulle Etoile, une seule sortie, la plus lointaine. Ensuite, barrages partout.

« Bonjour messieurs les agents : j’aimerais traverser les Champs.

-On ne peut pas.

(Ample geste et présentation de sésame) : on m’attend là-bas.

-Faites le tour.

-Le tour de quoi ?

-De la place.

-C’est grand.

-Suivez votre étoile.

-Je ne fais que ça.

-Alors vous y arriverez. »

J’y arrive.

 Par la porte des livraisons du drugstore.

-Vous avez quelque chose à livrer ?

-Moi-même.

-Suivez-moi (1)

Sur la terrasse Publicis, tout le monde regarde le ciel, portable en mains, dans un bel ensemble chorégraphique.

Sur la terrasse Publicis, les Prix de la Vocation arrivent-ils du ciel?

« Vous attendez le Messie ?

-Non, la Patrouille de France.

-Pour les lauréats ?

-Non pour Charles III.

-Voilà pourquoi le métro George V était fermé ! Il est où ?

-En bas. Avec Camilla.

Je me penche.

-Je ne vois rien.

-Il sont déjà passés. »

Le 47eme Prix Bleustein-Blanchet de la Vocation revient à Alice Renard pour son premier roman, « La colère et l’envie », aux éditions Héloïse d’Ormesson. Le prix Poésie à Andréa Thominot pour « On a peur mais ça va ». L’ouvrage est en voie de publication. Ces deux prix sont dotés chacun de 10 000 euros. Dans le ciel, la Patrouille de France passe encore plus vite que les rois.

Alice Renard, Prix littéraire de la Vocation comme le bandeau l’indique

Un Enragé à l’Honneur

J’ai moi-même l’honneur de figurer au jury du Prix Patrimoines/Louvre Banque Privée, qui récompense la patrimoniale beauté de la langue française et dont c’était la 7eme édition. Sa dotation est de 5000 euros. Mais l’établissement de crédit privé de la banque postale acquiert également quelques centaines d’ouvrages et en a déjà acheté quatre cents. L’année précédente, ce très appréciable bonus était monté à mille pour Miguel Bonnefoy et son « Inventeur » aux éditions Rivages. C’est dire si le gagnant est un gagnant-gagnant.

Cette année, c’est au tour de Sorj Chalandon d’inscrire son nom au palmarès pour « L’Enragé », chez Grasset. Nous le retrouverons quelques lignes plus bas pour une autre distinction. « L’Enragé » s’inspire du bagne d’enfants qui n’est pas la première destination touristique du passé de Belle-Ile-en-mer, sur lequel Prévert a écrit un poème et Laurent Voulzy pas de chanson. Ce roman n’a pas été salué n’importe où.

De quoi regarder aussi en l’air au Palais de la Légion d’Honneur

C’est même, au lendemain des Journées du Patrimoine, dans un lieu qui n’ouvre jamais ses portes au vulgum pecus le reste de l’année, le Palais de la Légion d’Honneur », que son prix lui a été décerné. L’académicien François Sureau, membre du jury, toujours très attendu en fin de délibérations puisqu’il est susceptible d’entonner quelques refrains rudement légionnaires à ne pas verser dans l’oreille des jeunes filles pour lesquelles cette institution a été créée, a fait un discours à son image : iconoclaste jusqu’au dernier étage de son ADN. Il a dit, en gros, que c’était une belle claque pour l’ordre établi des choses, ses ors de la République et son plafond à côté duquel celui de la Chapelle Sixtine peut aller se faire repeindre, que de célébrer en ces lieux, un aréopage de dangereux sauvageons abandonnés par leur mère patrie. Après avoir cru bon de rappeler que « la littérature est notre indépendance passée et à suivre », l’heureux récipiendaire (un pléonasme) a renchéri, lui aussi épaté par cet inattendu décor pour abriter « la petite horde humiliée et fragile » de ces gamins à la dérive qui ont connu toutes les violences, ait pu trouver refuge dans « Le Palais de la Légion d’Honneur ». Et ravalant ses larmes : Merci pour eux qui attendaient d’être accueillis. Je sais aujourd’hui, 89 ans après, qu’ils sont ici en sécurité. Plus rien ne peut leur arriver. »

Sorj Chalandon, lauréat du Prix Patrimoines aux côtés de Jean-Marc Ribes, président du Directoire de Louvre Banque Privée

Président du Directoire de la banque, Jean-Marc Ribes, qui enfile régulièrement, la nuit, le noir blouson du rocker pour l’association « Les papillons blancs de Vincennes » au profit des jeunes adultes handicapés, a changé de registre musical en interprétant, accompagné au piano par Brigitte Gastebois, directrice du marketing et du développement commercial, deux standards de notre patrimoine de la chanson : « Diego », de Johnny, et Les feuilles mortes », de Prévert et Kosma. Feuilles mortes pour des feuilles vives qui donnent un livre si fort.

Banquier chanteur

Quadrille à cinq au Livre de Poche

Elle aurait pu choisir un théâtre de poche mais ç’aurait été un chouia ric-rac. Béatrice Duval, Directrice générale du Livre de Poche a donc été bien inspirée de choisir, pour accueillir les six lauréats du très convoité prix des lecteurs, au nombre de 400, et fêter de concert les soixante-dix ans de la naissance de la collection qui a démocratisé la lecture en France, la mythique adresse de l’Elysée-Montmartre, boulevard Marguerite de Rochechouart. L’imposante salle où l’on accède par un imposant escalier, baignée ce soir-là d’un rouge capiteux et où l’on accède par un majestueux escalier, fut le lieu de naissance du « quadrille naturaliste » et de tous ses cancans. L’établissement était régulièrement fréquenté par Toulouse-Lautrec venu y chercher, et y trouver, l’inspiration. Notons que si cela avait été pour le peintre un lieu de perdition, on aurait pu s’exclamer Toulouse lost lost ! (**) Je sais : c’est accablant.

Béatrice Vidal, patronne du Livre de Poche, Leila Kaddour et rebonjour Sorj

La journaliste Leila Kaddour, bien connue des auditeurs de « La bande originale » en fin de matinée sur France Inter ainsi que des téléspectateurs de France 2 le week-end puisqu’elle y présente le journal, a revêtu la tenue de maîtresse de cérémonie pour échanger avec les lauréats dont une lauréate, dans cinq catégories. Pertinence, enthousiasme et sourire : elle a mis tout le monde dans sa poche.

Littérature. Le Canadien Michael Christie pour « Lorsque le dernier arbre », publié chez Albin Michel, traduit de l’anglais par Sarah Gurcel, “fresque familiale et réflexion socio-économique”.

Polar. Cédric Sire pour « La Saignée » publié chez Fayard. Une ancienne policière traque un maître de la torture qui sévit sur le darkweb un maître de l’atroce. Il paraît qu’aucune goutte de sang n’y est versée. On respire.

Non-fiction. Irène Vallejo pour « L’Infini dans un roseau », publié aux Belles Lettres : « une ode au livre et à tous ceux qui s’en sont fait les gardiens ou les diffuseurs au fil des siècles ». L’auteure était accompagnée de la romancière Anne Plantagenet, sa traductrice.

Imaginaire. Guillaume Chamanadjian, pour « Le Sang de la cité », publié aux Forges de Vulcain, premier tome de la trilogie Capitale du Sud, qui en comptera six.

Prix des Libraires littéraire. Et voici que l’on retrouve Sorj Chalandon pour « Enfant de salaud », publié chez Grasset. Dans la catégorie polar, Nicolas Lebel l’a emporté avec « La Capture », édité par le Masque.

Deux noirs serrés encadrent le lauréat canadien

Nietzsche rafle des Deux Magots

Tout augmente parfois de manière surprenante. Qui aurait pu prévoir en effet que l’inflation rattraperait le 90e prix des Deux Magots ? Il était près de 14 heures et la fête aux allures très cannoises, battait son plein sous les tentes installées à l’extérieur de la fameuse brasserie surveillée par le clocher de l’église de Saint-Germain-des-Prés mais aussi guettée par la fenêtre de l’appartement de Jean-Paul Sartre. Une voix dans un micro a soudain évoqué “Les Trois Magots”

Guy Boley, 90eme Prix des Deux Magots

Guy Boley, héros de la journée pour son roman, « A ma sœur et unique » publié chez Grasset, inspiré de la personnalité d’Elisabeth Förster, sœur unique de Friedrich Nietzsche, admiratrice à la folie, et le mot est faible, de son philosophe de frère, n’a sans doute rien entendu, naviguant à l’intérieur sur un fleuve d’interviews. L’auteur de « Dieu boxait en amateur » qui a connu mille vies – cracheur de feu, acrobate et directeur de cirque…- n’a pas joué les bêtes de scène. Il dégageait même quelque chose de formidablement touchant avec sa façon de conserver son sang-froid devant cet afflux de célébrité. Sûr qu’il a dû égarer sa couronne en rentrant chez lui en métro.

A eux tous, les jurés dépassent largement 90 ans

Les invités sont repartis avec, entre autres littéraires goodies (oui, ça existe) le beau livre consacré à l’histoire de l’établissement, ainsi qu’un ouvrage plus modeste mais passionnant. Il est signé de cette élégante et délicieuse figure des lettres qu’était Jean-Paul Caracalla, disparu en 2019 à l’âge de 97 ans. Publié dans la collection de poche des éditions de la Table Ronde, le livre s’intitule « Aux Deux Magots – de la bonneterie à la limonade ». Et c’est ainsi, non pas qu’Allah est grand comme aurait dit Vialatte, mais que toute la littérature et ses gros bonnets fréquentent encore aujourd’hui l’auguste brasserie.

*(Merci Arnaud Despleschin)

** (Merci à mon ami Patrick Lafayette)

  • Il va de soi que ce dialogue est passablement romancé et que les choses, si elles ont été compliquées, l’étaient un peu moins sésame en mains.
  • Oui, parce que faut-il le rappeler : caracoler en tête est un pléonasme.

A suivre avec Le prix de la biographie » et le Prix Blù.

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