Cocktail pour Cocteau

Soixante ans que Jean Cocteau, l’académicien-poète aux cent visages, sa Belle, sa Bête, ses amours et sa difficulté d’être s’en sont allés un 11 octobre. Plusieurs ouvrages saluent sa mémoire, du plus modeste d’entre eux, signé Maïa Brami, d’une délicatesse infinie, au plus luxueux, publié aux éditions des Saints-Pères, somptueusement illustré et qui sort ce jour-même.

Les revanches posthumes se font attendre. Il y a soixante ans, le 11 octobre 1963, s’éteignait à Milly-la-Forêt, en Essonne, à l’âge de 74 ans, le poète académicien, peintre, dramaturge et cinéaste Jean Cocteau, ami de l’opium, des chats et des colombes. S’il y eut foule à ses obsèques habillées d’une cérémonie à la hauteur de sa disparition, la mort d’Edith Piaf survenue la veille, six heures plus tôt, engloutit cette disparition dans sa vague. Cocteau fut ainsi emporté deux fois. Par la mort et par la concurrence. Mais la postérité est patiente. C’est son boulot. Elle ramassa donc son étoile, celle-là même avec laquelle l’auteur de « La voix humaine » accompagnait sa signature et l’astiqua chaque matin pour que pas un instant, au fil des décennies, ne pâlisse son éclat. Près d’un siècle après, la mer n’a non seulement pas effacé sur le sable la trace et le nom de Cocteau mais sa mémoire s’enrichit régulièrement de nouveaux ouvrages qui lui sont consacrés.

Ainsi Claude Arnaud, à la façon de son « Proust contre Cocteau » en 2013, publie, et c’est de nouveau passionnant, un « Picasso tout contre Cocteau », chez Grasset, consacré à ce tango heurté, façon Je t’aime moi non plus, dansé par ces deux figures.

Même vif intérêt pour un aspect plus méconnu de la vie sentimentale de Cocteau : la publication chez Albin Michel de la correspondance intégrale autour de l’intense relation amoureuse qui unit Cocteau et l’écrivain et poète Jean Desbordes. Sous bannière des éditions du Rocher, c’est un élégant coffret rouge qui témoigne en trois volumes de la diversité d’une œuvre.

Enfin, les éditions des Saints-Pères sortent comme d’habitude le grand jeu avec un beau-livre en luxueux costume, imprimé à mille exemplaires sous les auspices, textes et images, de Dominique Marny, petite nièce du poète. C’est une splendeur comme on le constatera en clôture de cet article.

Mais je veux m’attarder sur une petite merveille parue avant l’été et que je conservais bien au chaud pour cette date anniversaire. Sous forme de lettre à l’intéressé, « Prenez le temps de lire les étoiles » est signé de Maïa Brami, poétesse elle-même, violoniste, journaliste, écrivaine, y compris pour la jeunesse, mais aussi biographe. A poète multipiste, poétesse multicarte.

Maïa Brami s’est livrée à un exercice inédit qui consiste à entrevoir l’éternité de son sujet, dont il ne faut pas être grand clerc pour deviner qu’il est l’un de ses socles d’écrivaine. La maison de de Milly qui se visite depuis 2010 et qu’André Maurois, rappelle-t-elle en exergue, comparait à un poème, est sous sa plume comme un animal qui respire. Et puis le jardin bien sûr. Et la Chapelle Saint-Blaise des Simples (*) où Cocteau repose désormais sans nous avoir quittés. « Je reste avec vous » a-t-il choisi pour épitaphe. Et le chat accompagné d’une étoile, dessiné en 1951 sur un mur vire dans un sourire au message subliminal: Cocteau « est toujours par minou ». Par sa longueur et son format, ce récit apparaît comme le plus modeste des ouvrages évoqués ici mais il déploie la résonance magnétique d’un corps et, surtout, d’un esprit.

Entrer chez un disparu, c’est entrer en lui. Sans effraction, sans infraction. Et ce que fut son passé s’empare alors de notre présent, joue avec lui, justement, comme un chat avec une pelote de laine. « Prenez le temps de lire les étoiles » invente la biographie sensuelle, faite de frôlements, de caresses, de chuchotements, de mouvantes impressions comme si les fantômes du souvenir chers à Brassens folâtraient autour de notre lecture tout au long de ces pièces décorées par Madeleine Castaing, leurs tentures, leurs objets fétiches, leur mobilier. « (Chacune) a sa fenêtre et sa cheminée. Bien que leur tapisserie diffère – motifs noir et blanc dans la chambre et imprimé léopard dans le bureau -, l’atmosphère est semblable. Impression de cocon. » Quant à la forme du heurtoir de la porte d’entrée il semble avoir sa vie propre de petit monstre échevelé.

Le livre de Brami ne joue pas les matuvu, ne se majuscule pas (ce n’est d’ailleurs pas le genre de la maison arléa dont l’initiale s’écrit avec une minuscule) mais s’infiltre avec pour seul viatique de nous faire traverser un trouble, celui qui occupait Cocteau à fleur d’entrailles autant que de peau. Les sens y sont sans cesse à la fête. Page 48 : « (…) un chèvrefeuille rouge-orangé s’y enroule au coin et sucre l’air ».

En un mot, Brami raconte avec une transcendance de libellule (je ne trouve pas d’expression plus adaptée) une existence qui n’aura été, en définitive, qu’un long et tumultueux chant du cygne. « Et pourquoi voudrais-je qu’on m’aime/ Quand je ne me suis pas aimé » écrivait ce prince de la ‘difficulté d’être’.

Le grand petit monde de Cocteau passe (re)faire un tour. Les mânes de Raymond Radiguet ou celles d’un Jean Marais traversant Milly, chaque 11 octobre, les bras chargés d’azalées rouges achetées sous la grande Halle. Plus loin et pour un résultat surprenant, voici, lors d’un ancien entretien, un Pierre Bergé, en charge de gérer le droit moral du poète, rempli d’un agacement proche de l’’aigreur’. Le compagnon d’Yves Saint Laurent résume la trajectoire de Cocteau à « des rendez-vous manqués » et un goût un peu trop prononcé pour les médias. Il est vrai qu’il était obsédé par les miroirs. Cette faiblesse, jugea l’homme d’affaires, lui aura été préjudiciable. Dans ce livre délicieux on dirait une dirait une rature.

“Prenez le temps de lire les étoiles” est tout sauf un rendez-vous manqué avec celui qui ne croyait pas à l’inspiration mais à…l’expiration. Car, affirmait le créateur de « La Belle et la Bête », « les choses ne nous arrivent pas du dehors, elles nous arrivent du dedans. » Cocteau expirera-t-il un jour pour de bon ? Pas sûr. « Le poète doit mourir plusieurs fois pour naître ». A méditer chapelle Saint-Blaise où il ne dort sans doute que d’un œil, comme les chats.

« Prenez le temps de lire les étoiles », de Maïa Brami, éd. arléa, 126 pages, 10€

(*) Simples se dit pour désigner les vertus des herbes médicinales populaires

  • « Prenez le temps de lire les étoiles », de Maïa Brami, éd. Arléa, 127 pages, 10€
  • « Picasso tout contre Cocteau », de Claude Arnaud, éd. Grasset, 231 pages, 20,90€
  • « Jean Cocteau – « Je t’aime jusqu’à la mort – Correspondance de Jean Desbordes 1925-1938, édition de Marie-Jo Bonnet », éd. Albin Michel, 272 pages, 22,90€

« Coffret Jean Cocteau – ‘La Belle et la Bête’ / ‘Poèmes’ suivi de ‘Théâtre de poche’ / ‘Le foyer des artistes’, éditions du Rocher, 25 €

Musique de chambres

Les éditions des Saints-Pères, cofondées en 2012 par la romancière Jessica L. Nelson et l’éditeur Nicolas Tretiakow, sont une académie à part dans le paysage français. Leur coupole accueille une collection de coffrets tous plus somptueux les uns que les autres, contenant, après un minutieux travail de restauration, les fac-similés de manuscrits des plus grands textes de la littérature en France mais aussi hors-frontières, de Kafka à Steinbeck en passant par Albert Einstein.

Ce sont des tirages limités et numérotés à casser sa tirelire mais quel plus beau cadeau faire à un bibliophile ? Cocteau y a déjà été hébergé à plusieurs reprises et le tirage parfois épuisé. Pour ce soixantième anniversaire, les Saints-Pères proposent “Chambre avec vues”. C’est ensemble est l’oeuvre de l’écrivaine et essayiste Dominique Marny, petite nièce de Jean, également à l’origine de nombreuses initiatives éditoriales et conceptrice d’expositions consacrées à son grand-oncle.

Cet objet qui reproduit à sa Une en lettres dorées ces quelques mots manuscrits du poète, « C’est pour toi que je fais des livres », est lui aussi habité, c’est le cas de le dire, par la maison de Milly-la-Forêt. Suivez le guide : la réception, le corridor, les seize chambres, le cabinet de curiosités… On y trouve à toutes les pages ou presque une floraison de documents inédits ou très rarement vus jusqu’alors: photographies, dessins, de dessins, reproductions de textes et citations… Et pour y ajouter une note sonore, un QR code permet d’écouter la mise en musique du poème de Jean Cocteau « Un ami dort » par deux artistes dont l’univers musical compte parmi les plus novateurs : Nicolas Dax et Amakuno.

Diffusé dès aujourd’hui, ce véritable rêve à livre ouvert a été tiré à mille exemplaires numérotés.

« Jean Cocteau – Chambres avec vues », de Dominique Marny, Editions des Saints-Pères, 304 pages, 200€

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