Blù, blù, l’amour est blù

Dix ans déjà que l’éditeur Jean-Marc Roberts nous a quittés. Mais la Série bleue qu’il a créé est la gardienne de sa mémoire autant que de ses horizons. Deux ouvrages lui rendent hommage et la 7eme édition du prix littéraire qui porte son nom a couronné « Triste tigre », de Neige Sinno. Pour ce tendre anniversaire, on a chanté et dansé. Atmosphère.

Comme il y a le bleu Klein, il y a le bleu Roberts. Du nom de l’éditeur Jean-Marc Roberts, disparu le 25 mars 2013 à l’âge de 58 ans et qui repose au cimetière Montmartre. Cette charismatique figure de la littérature française et précoce écrivain – son premier roman, « Samedi, dimanche et fêtes », en 1972, parut quand il avait 17 ans – était aussi un scénariste prolixe pour le cinéma, particulièrement chez Pierre et Denys Granier-Deferre. Mais surtout, l’édition fut de maison en maison son jeu de marelle favori jusqu’à ce qu’il accepte, en 1998, d’être le capitaine de vaisseau des éditions Stock. Initiée chez Fayard, il y imposa sa « série bleue », un mot qu’il préférait à celui de « collection ».

Les ouvrages étaient immédiatement reconnaissables à leur couverture d’un bleu de nuit profonde. Il y épingla comme des étoiles les livres qu’il publia. Roberts aimait, au hasard et en vrac, les jeans et les chemises bleues (clair), la chanson française sévèrement mélodique, les hypermarchés, l’autofiction, séduire et convaincre, lire vite et saisir son téléphone pour annoncer son enchantement (ou le contraire), être libre à mille pour cent et ne faire confiance qu’à un seul avis : le sien.  

Deux livres marquent l’anniversaire de ces dix années sans ce chien truffier au museau d’ange, mix de Sacha Distel et de Patrick Modiano. Chacun de ces ouvrages surfent à leur façon sur le charme si troublant des miroirs brisés pour reconstituer un visage, une âme et une époque.

Avec « L’Editeur », aux éditions Phébus, l’écrivaine, éditrice et agente littéraire Capucine Ruat, qui a pratiqué le personnage (« pratiquer », quel mot étrange et pourtant si éloquent pour dire qu’on a bien connu, observé et compris quelqu’un…), signe l’archi-merveilleux portrait d’un romantique comme en façonne la littérature. Un franc-tireur au flingot chargé à la poudre de l’urgence de vivre et d’aimer. Ruat écrit par ruades de souvenirs.

Elle n’omet pas d’évoquer l’évolution et les remuements de l’édition française que Jean-Marc Roberts tenait à l’œil. La reproduction d’un article du quotidien ‘Le Monde’ daté du 28 avril 1965 prend ces jours-ci toute sa dimension. « Le risque, écrivait alors le quotidien, c’est que ces groupes très puissants entravent les initiatives individuelles d’hommes prêts à mettre leur zèle et leur goût au service de la littérature. » Le sort, qui se manifeste souvent aux yeux des hommes, par son ironie, c’est dire s’il a mauvaise presse, veut que cette crainte soit aujourd’hui plus que jamais d’actualité. Jean-Marc Roberts est mort en homme libre et « la Bleue », tel qu’il l’avait prédit, nous survivra.

Capucine Ruat au premier plan, Philippe Claudel et Brigitte Giraud

La même Capucine s’est tout naturellement retrouvée conviée à préfacer « Je vous ai lu cette nuit », un ‘kaléidoscope’ de témoignages rédigés par vingt-sept auteur(es).

Le bandeau de couverture est une formidable photographie en noir et blanc du Suédois Ulf Andersen, spécialiste des portraits d’animaux à plume littéraire est qui s’est éteint en juillet dernier.

Jean-Marc Roberts sous l’objectif d’un autre disparu, Ulf Andersen. Attention les yeux!

Le regard de Roberts vous y découpe tout cru. De Christine Angot à Nina Bouraoui, de Patrick Modiano à Erik Orsenna, de Didier Barbelivien à François Berléand, mais aussi Katherine Pancol, Philippe Claudel, Annie Ernaux… – chacun des textes réunis ici, forgés dans la poitrine, expiration d’entrailles, est d’une émouvante puissance. Celui d’Anne Plantagenet s’ouvre sur « une apparition rêvée » et voici ce qu’on y lit : « La présence de Jean-Marc, la carte qui accompagne chaque contrat avec joie et confiance, sa voix impatience au téléphone, son écriture de pattes de mouche, le tendrement de ses textos, les masques, le double, le jeu. La fuite en avant, le mensonge, ta triche. La fusion. La confusion. Un certain sens de la fête. Je prends tout.  Son courage, évidemment, face à cette maladie dont on finit par espérer qu’elle soit elle aussi un tour de passe-passe ». 

Neige Sinno, lauréate du 7eme Prix Blù

Il y a de cela deux à trois semaines de recul au galop, ce décennal anniversaire a donné lieu à une fête au cœur du quartier du Marais, à Paris. On y décernait le septième Prix Blù/ Jean-Marc Roberts initié par Capucine sur une idée d’Erik Orsenna, la journaliste Nicole Wisniak et les enfants de Jean-Marc. C’est le roman de Neige Sinno, « Triste tigre » (P.O.L) par ailleurs Prix littéraire du Monde et tout récemment des « Inrockuptibles », qui l’a emporté. Philippe Claudel, Secrétaire général du Goncourt qui sera remis le 7 novembre (l’auteure figure dans le quatuor final), n’a pas ménagé son admiration pour ce livre qui repose sur le drame et ses répercussions d’une enfance abusée et emprunte à tous les genres de récit.

Danse avec les Blù

Ce soir-là donc, au Tango, un cabaret qui emprunte lui aussi à la diversité des genres, les invités, sous le mécénat de la Fondation Jean Michalski, ont honoré le disparu de la meilleure façon qui soit : en chantant et en dansant. Une cantatrice interpréta « Carmen », de Bizet avant de dérouler, repris en chœur par l’assistance, un florilège de chansons d’amour – Barbara, Piaf, Julien Clerc… (1). Il s’est clôt avec France Gall : « Il jouait du piano debout/ Quand les trouillards sont à genoux/ Et les soldats au garde à vous/ Simplement sur ses deux pieds/ Il voulait être lui, vous comprenez. »

Ce qui nous rappelle quelqu’un.

  • Il manquait « L’amour est bleu » de Vicky Leandro. (Cette remarque s’accompagne d’un sourire et me donne mon titre).

« L’éditeur », de Capucine Ruat, éd. Phébus, 266 pages, 19,50€

« Je vous ai lu cette nuit », éd. Albin Michel, 245 pages, 20,90€ » Les droits des ventes seront reversés au profit de l’association Jean-Marc Roberts.

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