FUNAMBULES DE LA MEMOIRE

Une famille de pasteurs hollandais installée en France tente désespérément de résister à la disparition de la mémoire et joue les funambules entre ciel et terre. Fabriqué d’éclats, gorgé de sensibilité, ce premier roman superbe et singulier révèle une grande écrivaine. Notre invité n’est pas près de l’oublier.

Par Jean-Michel Ulmann

D’une douceur énigmatique, ce titre, “Ceux qui appartiennent au jour”, qui a séduit les membres du prix Françoise Sagan, est la traduction mot à mot d’une locution hollandaise qui signifie « ceux qui vivent sur le fil ». On entre dans ce roman, le premier signé d’une jeune metteuse en scène – elle a vingt-cinq ans – d’origine néerlandaise, comme dans un tableau de Vermeer.

Emma Doude van Troostwijk. Photo: Mathieu Zazzo

Porte entrouverte. Silence. Les personnages y sont à la fois présents et absents, figés dans l’instant mais déjà sur le départ. Surpris par la narratrice, ils répètent la liturgie des jours comme s’ils tentaient, tant bien que mal, de maintenir une vie en souffrance. Ils vivent sur ce fil. A chaque jour suffit sa peine. Dans ce presbytère en décrépitude où cohabitent trois générations de pasteurs, tout indique la lente et impitoyable érosion de la mémoire, de la foi et de l’espoir. Le retour de leur fille aînée, sa tendresse, son humour pourront ils adoucir la déréliction de cette famille ? Son soutien et sa confiance suffiront-ils à décider son petit frère Nicolas à reprendre le flambeau pastoral?

Emma Doude van Troostwijk écrit par fracas et fragments qui font à la fois jaillir l’angoisse de la détresse et la dignité de sa retenue. Son écriture tantôt frontale, tantôt distante, poétique et souvent drôle quoique toujours poignante est un kaléidoscope sensible où s’enchevêtrent, s’ajustent, se séparent, les éléments de ce délitement. Et nous évoluons avec elle sur une ligne de fracture où les assauts de l’ombre, dans un crépuscule qui se voudrait irrémédiable n’empêchent jamais la lumière de se faufiler par la moindre faille.

« Ceux qui appartiennent au jour », de Emma Doude van Troostwijk, éd. de Minuit, 176 pages, 17€

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