Un trio de femmes, Sambre, Rosie et Helga, occupent le cœur du réacteur du septième roman de Fabienne Jacob. Jusqu’à ce que Sambre s’en aille et pousse Helga, qu’elle fascinait, à rebattre les cartes de sa propre vie.
Vous aimez les voix singulières, comme on dit paresseusement quand on ne trouve pas d’autre mot ? Celles qui ne se contentent pas seulement d’une résonance par leur chant, à l’oreille et au cœur mais creusent encore plus loin. Celle de Fabienne Jacob en est une, qui remue sans relâche une sorte d’obsession cendrée et délivre un mélange d’énergie et de mélancolies de passage accompagnées de cette lumière qui baigne certains de nos rêves. De l’ocre et du plein gris.
Fabienne Jacob, auteure à ce jour de sept romans auxquels s’ajoute le recueil de nouvelles qui signa en 2003 son entrée en littérature. Son titre, “Les après-midi, ça ne devrait pas exister”, annonçait d’emblée, si ce n’est la couleur en tout cas la tonalité générale de l’œuvre à venir et dans laquelle « Corps », en 2010, qui nous semble une indépassable et rugueusement sensuelle (oui, oui) tentative de description des paysages extérieurs et cachés qui sont notre enveloppe et notre intime identité.
Même audace crue avec « Mon âge », sujet tabou s’il en est, que l’écrivaine aborde en jetant tout oripeau de pudeur par-dessus les moulins de son cœur et de sa carcasse.
Jacob a du courage sans chercher à en avoir. Elle n’essaie pas de plaire, elle essaie d’être vraie. Chacun de ses récits la relie à son enfance, à ses racines de l’est, elle est née à Créhange, en Moselle, un pays où nombre de villages se finissent en ange et où les anges semblent avoir perpétuellement froid.
Nous y revoilà dans ce nouveau voyage immobile, l’aiguille de l’horloge fichée dans le passé d’une partition de jeunesse qui se jouait à trois : la narratrice, Helga, fascinée par la flamboyante Sambre à la chevelure blond vénitien, et Rosie, la plus terrestre et la plus fantasque du trio qui s’offrait à l’époque de bien secrètes escapades.
Ce portrait tricoté à trois mailles, les histoires avec les mecs, un mec surtout, Anders, la crainte d’être piégée par “l’amour exclusif », les fringues qu’on se met sur le dos, les études qui n’attirent pas les employeurs, tout ça en vrac fabriquant toutefois un petit bonheur fébrile de vivre en attendant que l’existence vous tombe dessus, finit par se casser la gueule avec le départ de Sambre. Comment Helga va-t-elle se frayer un chemin d’équilibre dans cette désertion subite ? Vers quoi cela va-t-elle la conduire ? Devinez. Quand on ne sait plus où on va, on regarde d’où on vient. « L’amour n’était plus une question, le travail non plus. Seule la quête des origines familiales continuait de me tarauder. Tant qu’on ne me répondrait pas à une certaine demande, je ne connaîtrais pas la paix, voilà ce que je me disais. »
« Ma meilleure amie » est un roman qui va s’amplifiant, en ramifiant son murmure. Y circulent des ondes d’adolescence avec, dans les désordres de solitude qui laissent Helga livrée à elle-même, ces questions universelles que tant de gens se posent. « Ai-je dit assez clairement à mon père avant sa mort que je l’aimais ? » Puis ces quelques lignes à suivre, ces mots si joliment écrits, cette façon de dire qui est à toutes les pages la marque de fabrique de cette véritablement grande écrivaine : « Depuis qu’il n’est plus là, le monde n’est plus le même. Le monde manque à mon père. »
« Ma meilleure amie », de Fabienne Jacob, éd. Buchet Chastel, 208 pages, 17€