Elise Durr, professeure de français, a repris le flambeau de l’Elocoquent, une maison d’édition fondée en 1984 qui a choisi de travailler selon les anciennes méthodes typographiques. Elle a infusé dans sa production une collection de courts textes dans lesquels des auteurs aux profils variés se souviennent du déclic qui a déterminé leur trajectoire.
C’est un label qui s’est jusqu’ici évertué à nous prouver que l’édition, quoiqu’il paraisse de temps à autre, n’a pas de plomb dans l’aile. Fondées en 1984 par l’éditeur Alain Grunenwald, qui n’est plus parmi nous aujourd’hui, les éditions de l’Elocoquent, du nom de l’association loi 1901 à but non lucratif qui portait ce projet, se donnaient pour objectif de « promouvoir la littérature et, plus généralement, la culture artistique contemporaine ». Grunenwald est allé déchirer ce manteau d’ombre qui s’appelle l’oubli pour ramener au jour les textes d’auteurs importants. Parmi eux, le premier de son catalogue, Georges Limbour (1900 -1970), dont l’oeuvre à facettes – des romans (Les Vanilliers, Le carnaval et les Civilisés »…), des essais sur la peinture, des contes des poésies…) – s’est enrichi en 1967 d’un ultime galop : une pièce de théâtre aux accents mythologiques intitulée « Elocoquente », publiée à la NRF au « Manteau d’Arlequin ». L’histoire d’un personnage convaincu que tout repose sur le pouvoir des mots mais contraint de trouver le moyen de soigner son bégaiement. De fait, affirmait Alain Grunenwald, « il faut beaucoup bégayer pour devenir éloquent ». Cette fantaisie langagière lui inspira le nom de sa maison. S’y infusa l’année dernière la série « Ce jour où » initiée l’année dernière par Elise Durr qui a repris le flambeau, constituée de courts textes publiés indépendamment les uns des autres sous la forme d’une plaquette non brochée, imprimée de façon totalement artisanale propre à la bibliophilie. Leur confection a été confiée à la « Société des Ateliers et Imprimeries Graphiques » (SAIG), soit la dernière imprimerie typographique de France installée à L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) qui compose ses ouvrages avec des plombs rachetés à l’Imprimerie nationale.
Sous la chaleureuse et très identifiable couleur brique de ses couvertures ornées d’une vignette signée du peintre Julius Baltazar, cette collection est à vocation autobiographique. Elle accueille des récits dans lesquels, résume-t-elle, leur auteur « raconte un temps fort – une rencontre une décision, une pensée – vécu comme un moment décisif, un moment de bascule ». On pense à cette phrase de Victor Hugo : « Et puis, il y a ceux que l’on croise, que l’on connaît à peine, qui vous disent un mot, une phrase, vous accordent une minute, une demi-heure et changent le cours de votre vie. »
Chaque texte est assorti d’une illustration originale. Le tirage est limité à 300 exemplaires dont un tirage de tête de 50 exemplaires numérotés. Onze noms se sont ajoutés aux douze précédents. Tous ces auteurs sont de profils très différents.
Figurent ainsi parmi les nouveaux arrivés Julius Baltazar justement (« Ce jour où mes peintures entrent dans la maison de Max Ernst »), le chroniqueur géopolitique Pierre Haski (« Ce jour où j’ai trouvé ma voie à Zanzibar »), la pianiste et chef d’orchestre Lucie Leguay (« Ce jour où Jean-Sébastien Béreau m’a dit ‘vous, ma grande, au pupitre’ »), l’acteur Jacques Gamblin (« Ce jour où mon corps est sans fin »), mais aussi le jazzman et ancien journaliste Jean-Francis Vinolo, chargé des relations commerciales de l’Elocoquent ( « Ce jour où dans un salon privé de l’hôtel George V j’ai interviewé Mylène Farmer »), le grand-reporter Jean-Pierre Perrin, l’amiral Loïc Finaz, le pilote de chasse Claude Gaucherand…
Quant à Elise, elle mène désormais une double vie. Lorsqu’elle ne se consacre pas à son métier d’éditrice, elle enseigne les lettres modernes. Notez qu’elle donne aussi des cours en milieu carcéral. Avec les éditions de l’Elocoquent », c’est son autre grande évasion.
Ce jour où, éditions de l’Elocoquent, chaque plaquette 19€