C’est dans le jardin tout à fait extraordinaire de Berchigranges, au cœur des Vosges, que la romancière Agnès Ledig a reçu le 25 mai des mains de son confrère Daniel Picouly, la médaille de la Légion d’honneur. Séquences émotion, sourires et suspense.
D’une manière générale, une médaille de la Légion d’honneur n’est guère programmée pour se balader au grand air. Une fois arrosée de discours et de champagne entre ors et boiseries des salons ministériels, elle se reconfine vite fait dans sa petite boîte rouge. De ce même rouge vif que son ruban bien sûr ; mais aussi celui des baskets de l’écrivain Daniel Picouly.
Comment cela nous a-t-il sauté aux yeux ? C’est que notre Prix Renaudot 1999 pour «L’enfant léopard », remettait chaussé de ces pompes écarlates, ce jeudi 25, dans le Jardin extraordinaire de Berchigranges, au fin fond des Vosges, sur la commune de Granges-sur-Vologne, les insignes de la Légion d’honneur à la romancière best-seller Agnès Ledig. Cette dernière habite à une vingtaine de minutes en voiture de ce grand paradis qu’a fait surgir d’une carrière de granit un couple dont l’œuvre et la persévérance valent le détour.
Des gens comme eux n’étant pas légion, Agnès ne se formalisera pas si je lui grille la politesse: à eux l’honneur d’abord.
Ils se nomment Monique et Thierry Dronet. Voilà quarante-deux ans, leur histoire d’amour conjuguée à celui de la nature leur a fait déplacer, c’est le cas de dire, des montagnes pour réaliser à 650 mètres d’altitude ce jardin à plusieurs niveaux. D’avril à fin septembre, les visiteurs y découvrent le long d’un tapis vert d’où s’échappent ensuite des sentiers vagabonds, quatre mille variétés de plantes: des plus simples fleurs aux pavots bleus de l’Himalaya. Ici et là le chant de l’eau. Une halte lecture leur ouvre sa porte en chemin car, ainsi que le professait Cicéron: « si tu possèdes une bibliothèque et un jardin, tu as tout ce qu’il faut ».
On connaît dans le Golfe de Saint-Tropez le domaine du Rayol et son Jardin des Méditerranées. Dans le Maine-et-Loire, le parc oriental de Maulévrier. Voici, sur vingt-sept hectares, dans la moyenne montagne vosgienne vêtue de toutes les nuances de vert, le jardin de Berchigranges, une autre apaisante parenthèse construite à l’huile de coude et de passion (1). Quinze mille tonnes de terre y ont été rapatriées des chantiers alentours. Il se dit que pour l’un de ses anniversaires, famille et amis offrirent à Thierry un camion benne et son chargement…de terre. En juin, après profusion de narcisses en avril puis de plantes vivaces en mai, ce sont toutes les nuances de bleu qui vous attendent et parmi elles celles du pavot de l’Himalaya déjà cité, les Campanulas, les Delphinums, les Camassias, les Anchusas. Les roses écloront en juillet. Vous lirez la suite dans le dépliant (que je suis en train de recopier).
Mais c’est un edelweiss d’argent à cinq branches et deux picots, miroitant sous le soleil, qui s’est épanoui sur le coup de 13 heures sur le gilet de l’écrivaine (2) strasbourgeoise, au pied d’un feuillu traversé d’une brise rafraîchissante. C’est donc dans le murmure des feuilles qui dansent, titre de l’un de ses romans, que l’auteure d'”Un abri de fortune”, dernier né d’une fratrie de neuf enfants de papier (3) a entamé son remerciement. Rappelons que dans cette histoire, trois personnages en sortie de route reprennent confiance en leur cheminement grâce à un potager. Je ne vais pas tout vous raconter, déjà que je fais long (4). Sachez toutefois qu’une émotion poignante traversa le discours de la récipiendaire (5) elle aussi en baskets, quoique blanches, et en pantalon opportunément fleuri, lorsqu’elle évoqua le drame de son petit garçon décédé d’une leucémie. Mais les paroles d’Agnès ne trahirent rien d’une colère affirmée face à la marche de notre société. Les reflets cirés et sans rayures des parquets officiels l’ont échappé belle.
Ceci dit, chères lectrices et lecteurs, je vous entends d’ici. Pourquoi donc Daniel Picouly était-il chargé, en vertu des pouvoirs qui lui étaient conférés, d’accrocher la précieuse breloque à la romancière ? Parce que si l’ancienne étudiante en agronomie devenue sage-femme a embrassé la littérature, c’est après avoir lu « Le champ de personne », ce premier livre qui révéla Daniel au grand public. Les humanistes ont la reconnaissance du cœur, c’est même à ça qu’on les reconnaît.
La vie est une pièce de monnaie à deux faces qui tient debout tant qu’elle roule. Dès lors, puisqu’on avait d’abord pleuré, Picouly nous fit sourire. Le gamin de Villemomble avait torché un poème dans lequel il mettait en scène Richard. Richard est le coq de la tribu Ledig. C’est lui, par la voix de l’homme de plume, qui prononça l’éloge. Vint enfin le moment piquant de l’affaire. L’épinglage. Gare à la maladresse. Il tint toutes ses promesses. C’est ainsi que cette cérémonie aura réuni une pincée de drame, un soupçon de comédie et une bonne dose de suspense.
- (1) www.berchigranges.com
- (2) Chère Agnès, ne m’en voulez pas, contrairement à vous, j’ai un mal fou avec le mot « autrice ». J’ai l’impression d’une tourterelle abattue en plein vol.
- (3) Tandis que son précédent livre, « La toute petite reine » sort en poche (2) Ed. J’ai Lu
- (4) Mais ça permet de place plus de photos !
- (5) Encore un mot pas terrible