À la fin du XIXe siècle, cette modèle et peintre était célèbre avant de sombrer dans la folie. On la redécouvre aujourd’hui et avec elle tout un univers artistique et mondain.
Le musée Roybet-Fould, à Courbevoie, est l’un de ces lieux charmants où, autour de figures méconnues auxquelles est consacrée la collection, sont organisées des expositions de haute tenue permettant de découvrir des artistes oubliés. C’est, pour quelques jours encore, Juana Romani (1867-1923) qui hante ces murs et, longtemps après la visite, les pensées de ceux qui l’ont rencontrée là. L’histoire de l’art compte de nombreuses modèles devenues artistes, telles Suzanne Valadon ou Victorine Meurent, souvent peinte par Manet et notamment dans Le Déjeuner sur l’herbe. Juana Romani est de celles-là, qu’on n’attendait pas et qui ont dû se faire une place sur les cimaises. Le catalogue, abondamment illustré, se lit comme le roman d’une vie, la trajectoire d’une jolie rousse italienne, intelligente et volontaire, qui, devenue la maîtresse d’un peintre français, sut conquérir le marché de l’art au seul mérite de son pinceau.
Derrière le chevalet ou la sellette, admirant ce modèle au magnétisme animal, il y eut du beau monde : Jean-Jacques Henner, Alexandre Falguière, Carolus-Duran, Victor Prouvé et le plus important pour elle, sans doute, Ferdinand Roybet qui l’aima véritablement. Né en 1840, il pouvait espérer qu’elle accompagnerait ses vieux jours. Mais c’est elle qui tomba malade, à 36 ans et s’enfonça en deux ans dans la folie.
Au début de sa carrière – elle a commencé à exposer à 21 ans – on la sent sous l’influence des maîtres anciens, espagnols ou hollandais, et des artistes qu’elle fréquente. Mais quel beau coup de pinceau, déjà ! Cette femme sensuelle s’est rapidement fait un nom en peignant d’autres femmes, dans des portraits ou des figures de fantaisie où elle mettait en valeur la chevelure, la carnation, les vêtements somptueux. Nulle influence des avant-gardes dans son travail mais, dans ces années 1890 parisiennes, une esthétique « fin de siècle » qui sied aux personnages féminins de l’Histoire qu’elle représente : Bianca Capiello, Jeanne d’Arc ou « la fille de Théodora », des femmes mystérieuses, séductrices, vénéneuses.
Au-delà d’elle, c’est toute une époque que le catalogue fait revivre. Contrairement à l’idée reçue, une artiste de talent pouvait être soutenue par la critique et mener une carrière de portraitiste recherchée par les femmes du monde. D’ailleurs, des gravures reproduisant ses œuvres ont longtemps illustré les magazines. C’est l’histoire de l’art du XXe siècle qui l’a gommée, comme tous ceux, hommes ou femmes, qu’elle jugeait coupable de ne pas s’être engagés dans la voie esthétique qui va de l’impressionnisme à l’abstraction. On la redécouvre aujourd’hui et ses afficionados sont sur la piste des œuvres disparues, connues par la gravure ou la photographie, qui dorment chez des particuliers. Il reste beaucoup à découvrir de Juana Romani.
Juana Romani, éditions du musée Roybet-Fould, 178 boulevard Saint-Denis, 92400 Courbevoie. Tél. 01.71.05.77.92. 199 p., 25 €. Exposition jusqu’au 19 septembre.