L’uppercut Constance

Petit canard noir de la dynastie familiale, Constance Debré, ancienne avocate devenue écrivaine, signe, avec « Nom », le livre le plus radical, rageur et glacé, de la rentrée d’hiver et se débarrasse de son ancienne vie comme d’une peau morte. Magistral uppercut qui explose la vitrine d’un monde réfugié dans les apparences dans lequel il ne fait pas bon vouloir être soi-même.

Il y a dans la radicalité, quand elle se fiance au grand art et au grand air de la liberté, une espèce d’extrême poésie, une vérité à fleur de peau, à fleur de mots, une beauté d’épais velours qui prend à partie une nature humaine façonnée de clichés quand, par confort ou par fatigue, il n’est plus question de se poser des questions.

« Nom », quatrième récit (« Un peu là, beaucoup ailleurs », « Play Boy », « Love me tender »…) de Constance Debré, petit canard (très) noir » et homosexuel de cette dynastie composée de personnages politiques et de magistrats, en est un formidable exemple.

La petite fille de Michel Debré, premier ministre de Gaulle, et qui fut elle-même avocate pénaliste pendant vingt ans (« c’est venu (…) quand il a fallu choisir son camp. Ceux de ma famille font la loi, je préfère plaider contre, ceux de ma famille sont dans le camp des vainqueurs, je préfère les vaincus »), vient avec ce nouveau livre donner un  tour de clé définitif à l’acte de rupture avec les siens, morts et vivants sur le même palier. Et comme dit Blier dans les Tontons flingueurs, c’est du brutal, et à tous les étages. « Ma sœur m’a appelée. On ne se parle plus depuis des années. (…) Qu’est-ce-je peux lui dire, à ma sœur, puisqu’elle croit à des choses auxquelles je ne crois pas. Elle croit à l’enfance, elle croit aux parents merveilleux et tragiques, elle croit qu’il faut être jusqu’à la mort l’enfant de ses parents, la mère de ses enfants, la femme de son mari. Des choses qui, pour moi, n’existent pas. Des choses qui pour moi sont des mensonges. Des choses qu’on se dit pour ne pas penser. »

Ce « Nom », qui dit tout dans le génial et fulgurant décalquage sémantique de son titre, est – non pas une traversée – mais une transpercée des apparences arrosée d’une rage froide, quasiment dévitalisée, où les souvenirs d’enfance et d’adolescence, boivent une dernière fois la tasse les uns après les autres. Constance fait avec constance le portrait d’un désastre dissimulé, familialement incorrect, charpenté de béquilles médicamenteuses et autres recours aux paradis artificiels. Sa mère, sublime mannequin, battue par son mari, Prix Albert Londres mais n’ayant aucun appétit pour les destinées politiques, maintenue à flot par un cocktail d’alcool et élixir parégorique – de la teinture d’opium « contre les maux de ventre » dit la notice – en vente libre et que ses parents boivent au goulot. Page après page s’établit un inventaire du désastre, hécatombe dans le clan familial, notamment chez les femmes.

Constance Debré. Photo Pierre-Ange Carlotti
Constance Debré. Photo Pierre-Ange Carlotti

Le tout dû à des causes diverses et peu présentables, se déroule derrière un paravent de châteaux au Pays basque et en Touraine, de chambres dans les palaces parisiens et de beaux appartements. La famille est un apparat. Les enfants ? « On les collait dans les bras des nurses et après on les collait en pension. Je ne sais pas où était la tendresse. » Une cour des miracles démantibulée, l’argent qui manque là où l’on pensait qu’il put ruisseler, un chapelet d’histoires d’amour – celles de l’auteure – faites de lignes de fuite au petit matin de branche en branche, – « une chambre de bonne, chez des amis, chez des maîtresses (…) ne rien avoir de domestique»…-  marbrent d’un bout à l’autre ce livre hors du commun qui épuise les derniers stigmates d’une œuvre encore récente, certes, mais si courageuse.

Il y a quelques fois, très rarement, des passages qui échappent au désossement général, à l’image de cette séquence où la petite Constance se réfugie rue Jacob, dans un surprenant élément du patrimoine des Debré :  un « Temple de l’Amitié », caché jusqu’aux yeux des voisins, avec ses colonnades « pseudo-antiques Directoire ou révolutionnaire franc-maçon ». Elle y pille les papiers à lettres à en-tête d’un éventail de ministères.

La fin va vers un peu de mieux. Un indice de réconfort. Ca n’est pas encore Byzance et ça ne le sera sans doute jamais mais il y souffle, par les fenêtres entr’ouvertes de cette liberté enfin consacrée, une brise de renaissance. « Qu’est-ce qu’il faut faire ? Je ne sais pas, je n’en sais rien, partir, recommencer. »

« Nom », de Constance Debré, éd. Flammarion, pages, 169 pages, 19 €

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