Sur le thème des frontières, le 25e Printemps des poètes, qui se clôturera ce lundi 27 mars, ne dure pas que 16 jours. Voilà qui serait bien malheureux. D’autant qu’au chapitre des bonnes nouvelles, il se dit chez les libraires que la poésie a repris du poil de la plume pendant les mois de confinement. Mieux, ce sont de jeunes lecteurs qui sont venus y boire à la source d’un renouveau.
A l’occasion de ce précieux rendez-vous, voilà un éventail d’ouvrages qui montrent chacun à leur façon à quel point la poésie n’a plus de raison d’effrayer sous prétexte d’hermétisme. Il est vrai qu’elle a subi un assassinat en règle dans les années 80 (oui je sais, j’en ai sans doute déjà parlé ici mais il y a des colères qui mettent du temps à retomber et dieu sait, comme en chirurgie réparatrice, que les reconstructions sont lentes).
Suivent donc dans ces colonnes des maisons d’éditions iconiques, telle Seghers, fondée à la Libération et désormais brillamment relancée sous la direction d’Antoine Caro et sa directrice littéraire Anne Dieusaert. Elle puise dans son riche catalogue patrimonial mais pas seulement, à l’exemple d’Arthur Teboul, figure de « Feu Chatterton ». Le poète Bruno Doucey présida un temps aux destinées de la collection sous pavillon Robert Laffont avant de créer en 2010 la maison qui porte son nom et s’est largement imposée dans le paysage. Sous son label, chaque Printemps des poètes s’enrichit d’une anthologie thématique établie en duo avec le poète Thierry Renard.
De leur côté les éditions de l’Iconoclaste ont lancé une collection, L’Iconopop, dirigée par Cécile Coulon et Alexandre Bord. Par sa présentation graphiquement pop, nerveuse et très colorée en couverture, plus sobre mais très vivante à l’intérieur, et par son choix d’auteurs – d’Akhenaton à la slameuse Lisette Lombé -L’Iconopop dynamite habilement les codes en s’adressant clairement à la nouvelle génération. Notons que la romancière Pauline Delabroy-Allard, révélée aux éditions de Minuit dès son premier roman « Elle s’appelle Sarah », invente avec sa sœur cadette Anouk la conversation poétique illustrée de photos maison.
Sous d’historiques pavillons de littérature générale, Plon publie les « Ephémérides » de l’écrivain aventurier Patrice Franceschi et le Seuil accueille dans sa collection de poche les textes poétiques d’un auteur, Charles Dantzig, que l’on connaissait moins sous cette bannière mais qui, lauréat du Prix Verlaine, a signé deux anthologies aux très jolis titres, « En souvenir des long-courriers » et « La Diva aux longs cils ».
Enfin, la poésie accueille dans ses rangs un cinéaste, Philippe Muyl (« Cuisine et dépendances », « Le papillon » ou le très…poétique « Promeneur d’oiseau ». Sans éditeur installé, le réalisateur publie tout de même ses poèmes. Ils dévalent leur pente de fraîcheur avec un chant de ruisseau.
Comme dit plus haut, cette 25eme édition s’appuie sur le thème des frontières. Or il se trouve que la poésie – Doucey en sait quelque chose en publiant des auteurs du monde entier – n’en a pas besoin pour respirer. Directrice artistique de la manifestation, Sophie Nauleau signale, en préface à l’ouvrage qu’elle publie comme chaque année à cette occasion (1), une variation étymologique intéressante. « L’un des sens du mot frontière « témoigne de la partie la plus extérieure et la plus avancée d’un état, comme le front l’est du visage de l’homme. »
La poésie est un parfum. En voici l’émanation, respirée en quelques lignes, pour chacun des ouvrages ici choisis.
(1) « Des frontières et des jours », de Sophie Nauleau, éd. Actes Sud, 70 pages, 13 €
PICORAGES
« Une grammaire amoureuse », de Coline Pierré
chaque fois que je te regarde je me demande
peut-on inventer des mots avec la même infinité
que l’on peut composer des gestes
éditions L’Iconopop, 14 €
–
« Enracinées », de Anouk et Pauline Delabroy-Allard
sœurs c’est ça
sœurs les mêmes taches de rousseur
sœurs les mêmes images dans la boule de cristal
sœurs les mêmes chemins les yeux ouverts
sœurs les mêmes mélodies quand vient la nuit
éditions L’Iconopop, 14€
–
« Des choses sans importance », de Lilia Hassaine
Je suis vide des livres que je n’ai pas lus,
des idées que je n’ai pas eues
des paysages que je n’ai pas vus
et des sentiers non parcourus
éditions L’Iconopop, 14€
–
« Poèmes de minuit, de Robert Desnos
Ah qu’il pleuve et vente
Que le ciel s’ensoleille
La vie est rapide et la route est lente
Où l’on s’émerveille
« Poèmes de minuit, de Robert Desnos, éditions Seghers, 162 pages, 15 €
–
« Le Déversoir – poèmes minute », de Arthur Teboul
Chercher la joie
Soleil liquide
Chercher l’épure
Soleil mince
Chercher le plein
Soleil lourd
Aller chercher le pain
Dans le soleil du matin
éditions Seghers, 247 pages, 18 €
–
« La Résistance et ses poètes », de Pierre Seghers
Le cœur dur La tête en armes
Il échappe à l’ennemi
Son pas efface les rides
Son feu pur sèche les larmes
Et son éclat rend le sien
Au visage de la vie
Le cœur dur La tête en armes
Il traverse le pays
« L’agent de liaison », de Jean Marcenac (1913-1984) publié en 1944 sous le pseudonyme de Paul-Louis Valentin
« La Résistance et ses poètes », de Pierre Seghers, éditions Seghers, 307 pages, 17 €
–
« Frontières – Petit atlas poétique – Anthologie établie par Thierry Renard et Bruno Doucey »,
Allégez vos pas
pour aller traverser la forêt de la liberté.
Laissez-nous avancer en compagnie des bêtes sauvages.
Laissez-nous plonger dans le mystère originel.
Jidi Majia
« Esprits de la vieille terre », dans « Paroles de feu », traduit du chinois par Françoise Rey
éditions Bruno Doucey, 265 pages, 20 €
–
« Ces mots traversent les frontières – 111 poètes d’aujourd’hui »
Revoilà les jours fermés
heureusement prés et bois
ne sont pas confinés
les oiseaux continuent
de caresser le ciel
dans le sens du bleu
Les beaux jours sont derrière la pluie
Guy Goffette, « 3 février 2021 »
éditions Le Castor Astral, 465 pages, 18 €
–
« Ephémérides » de Patrice Franceschi
M’en suis allé
De par les mondes
Vers les chimères
Et les étés
M’en suis allé
Quelle importance
Près de toi
Mon cœur n’a pas bougé
éditions Plon, 121 pages, 14,90 €
« Genre Fluide », de Charles Dantzig
Sur un bouquet reçu par un faon
roses quel est votre message
roses qui est votre messager
roses que ne passe votre âge
roses quand vous seriez ravagées
roses je resterais toujours gage
roses de joie et d’amour sage
éditions Points, 300 pages, 9,40 €
–
Poèmes Etc, de Philippe Muyl
Chambre à louer
Je cherche une chambre à louer
La plus petite la moins chère
Le confort n’est pas nécessaire
En amour qu’importe la place
Moins on en a, plus on s’enlace
éditions Poésie.io
Commentaire
Évelyne Dress
Il était temps que la poésie reprenne ses couleurs. À la fin du 19eme Anna de Noailles, parmi d’autres, était une vedette. Puis vinrent dans […] En savoir plusIl était temps que la poésie reprenne ses couleurs. À la fin du 19eme Anna de Noailles, parmi d’autres, était une vedette. Puis vinrent dans le désordre : Prévert, Desnos, Queneau, Tardieu, Vian, Michaux, Guillevic et tant d’autres. Je cite ceux-là, parce que dans une précédente vie, je les disais dans mon spectacle « Comment ça va sur la terre ? » Read Less