On égrène les minutes d’Arthur

Un an après l’expérience à succès, initiée par l’auteur et chanteur de Feu ! Chatterton, d’un « cabinet de poésie » instantanée ouvert aux passants, les éditions Seghers publient le fruit de cette aventure dans un très beau volume tandis que ses « Poèmes minute » sortent en poche.

Quand on me fit écouter en images sur un téléphone, au lendemain de la cérémonie que je n’avais pu regarder à la télévision, l’interprétation par Arthur Teboul de la chanson « L’affiche rouge », ce poème d’Aragon mis en musique par Léo Ferré et qui ne pouvait pas ne pas accompagner l’entrée au Panthéon de Missiak et Mélinée Manouchian, j’ai physiquement éprouvé la sensation de me baigner dans une source chaude. Quelques jours plus tard, un matin sur France Inter, dans l’émission de Rebecca Manzoni, j’appris que Feu ! Chatterton, le groupe dont Teboul est la voix et l’auteur des textes, avait depuis longtemps intégré ce titre à son répertoire.

Depuis je me replonge régulièrement dans l’envoûtante ondulation sonore de ce vaisseau mélodique quasiment charnel qui me paraît naviguer, entre le noir et l’or, sur une mer qui serait la doublure soyeuse et scintillante d’un manteau retourné.

C’était un poète qui chantait. On entend peu les poètes chanter. Pas plus qu’on a l’occasion de percevoir le son que fait leur plume sur le papier puisque, contrairement aux peintres sur le motif, on n’en voit jamais écrire non plus.

Enfin, ce n’est plus tout à fait juste.

Le cabinet de poèmes vu par le photographe Grégory Copitet (détail)

On n’en avait en effet jamais vu jusqu’au 12 mars de l’année dernière, lorsque Arthur (les poètes prénommés Arthur ne sont pas légion même si l’un d’eux reste immortel) se mit en œuvre de trouver un endroit pour réaliser un rêve : ouvrir un « cabinet de poèmes minute » qu’il baptiserait « le Déversoir », devenu le titre de son premier recueil de poésie. Ce nid, il l’a trouvé avec l’appui d’actives bonnes âmes, à commencer par Aurélien Jacquin, le fondateur du centre d’exposition FORMA, au 127 de la rue de Turenne dans le troisième arrondissement de Paris. Le principe en était simple. Pendant une semaine, chaque jour sauf le samedi, de 10heures à 18heures, les passants lui rendraient visite avec ou sans rendez-vous, « comme on va chez le fleuriste, le coiffeur ou le cordonnier ».

En mars de l’année dernière, au 127, rue de Turenne, Arthur Teboul en son Déversoir (Photo: Grégory Copitet)

A chacune, à chacun, aux couples et aux trouples s’il s’avérait qu’il y en eut, il écrirait un poème en prose, le lirait à haute voix au destinataire avant de s’en séparer. Plus tard, il leur enverrait un questionnaire pour récolter les impressions. Deux cent trente-six personnes ont participé à cette relation textuelle qui ne dépassait pas un quart d’heure, chaque texte rédigé entre cinq et sept minutes.  Elles étaient invitées à ignorer savamment leur hôte éphémère et à laisser baguenauder leur attention sur le décor imaginé par Mégane Servadio et Stéphanie Darmon, fondatrices du studio Etttore. La galerie Dina Vierny prêta « Mouvement de danse », de Matisse. Les regards furent nombreux à s’attarder sur ce tableau représentant deux danseuses tandis que la plume faisaient des pointes sur la feuille.

En broché

Un an plus tard, voici que cette effervescente initiative reprend corps sous la forme d’un costaud recueil baptisé « l’Adresse » (1), largement illustré en seconde partie et qui rassemble la totalité des textes mais aussi les réactions qu’ils ont suscitées. Le volume est publié sous bannière des éditions Seghers, ressuscitées mieux qu’en beauté il y a trois ans par Antoine Caro qui a bien mérité son trophée d’éditeur de l’année 2024 décerné par la revue professionnelle Livres Hebdo. La couverture représente Arthur en pleine écriture – chic, ça rime – et comme un bonheur de poésie n’arrive jamais seul, cette publication s’accompagne de la réédition en poche du premier recueil de notre artiste poète, précisément intitulé « Le déversoir » (2), soit 105  poèmes minute « écrits à toute vitesse pour subjuguer la conscience de soi et l’étourdir, afin de laisser libre cours à ce qui traverse l’esprit ».

Empoché

En bonus, un QR Code propose d’écouter sept poèmes inédits lus par l’auteur.

Et voici comment un article s’ouvre sous les ailes déployées d’Aragon et s’achève en minutes papillon.  

  • (1) « L’adresse – Les rendez-vous du Déversoir », de Arthur Teboul, éditions Seghers, 383 pages, 26€
  • (2) « Le Déversoir – Poèmes minute », éd. Pocket, 267 pages, 7,50€
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