Légers agacements, et d’autres moins légers. Où il sera question des bêtisiers de fin (et du début) d’année, des paresses de langage, d’Oscar Wilde, de René Char, de Jules Renard, de Pascal Obispo, d’Hughes Aufray et de Sylvain Tesson, ici vaillamment défendu.
Saturation. Je ne sais pas vous mais j’en ai par-dessus les oreilles et les yeux du mot ‘polémique’. Cette paresse de notre monde médiatique de sauter à pieds joints dans un mot comme dans une flaque.
Saturation bis. Pourquoi parle-t-on des anonymes ? « La foule des anonymes ». C’est fou ce qu’il y a de personnes qui n’ont pas de nom dans ce pays. A l’inverse, il y a tellement de « célébrités » dont on n’a jamais entendu parler.
Méfiance. Pourquoi me méfié-je toujours des gens qui battent des mains en s’exclamant « j’ai hâte ! » quand ils apprennent que leur interlocuteur (trice) leur fait part d’un projet ? J’ai le sentiment redoublé qu’ils s’en foutent dans les grandes largeurs. Ce « j’ai hâte » est une obole pour l’oubli.
Saturation ter. Il y en a marre de ce paresseux réflexe de critique: “une intrigue à couper le souffle”. Les urgences sont suffisamment débordées comme ça.
Et donc, du coup? Grâces soient rendues à Pascal Obispo qui a fait imprimer pour sa tournée un T-shirt avec toutes les variantes de l’expression « du coup ». Il y en a bien une bonne douzaine.
Inflation. Et que dire de ce “caracoler en tête”. C’est déjà indiqué dans le mot lui-même, ‘cara’ désignant la tête.
Mystère. Je n’ai toujours pas compris ce qu’était un bar à ongles.
Meilleurs voeux (que les précédents). Nous sommes encore dans cette période de la nouvelle année. Lu sur mon téléphone : « Ne souhaitons plus ‘bonne année’ mais ‘bonne chance’ ! » Les réseaux ont parfois du bon.
Détresse cathodique. Dans un Bêtisier télévisé, pire des programmes des premiers de l’an, qui vous fait, avant même d’avoir commencé l’année neuve, descendre au-delà du rien dans un entre-soi de rires congelés ou de sautillantes cruautés par lesquelles la vie domestique est résumée à un chapelet de chutes où les gens se font mal, qu’on ne me dise pas le contraire, j’ai éprouvé, plus fort que devant des scènes de guerre, une sensation de désespoir. C’était furtif. Ca ne portait pas à conséquence. C’était juste une faille plus dissimulée, plus perverse, plus ouvertement subliminales que toutes les autres.
Irrésistible Char. Merveilleuse phrase du poète et grand résistant René Char: “L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant”. Les réseaux ont parfois du bon (bis).
C’est quand le bonheur? Je lis un peu partout des publicités pour des essais en librairie ou des « Unes » de magazines, consacrés au bonheur. Ces vendeurs de vent n’ont de toute évidence pas lu cette phrase de Jules Renard, puisée dans son si précieux et pertinent Journal : « J’ai connu le bonheur mais ce n’est pas ce qui m’a rendu le plus heureux ».
Précieusement inutile. Lire, relire et relire encore, et ne jamais s’en séparer l’indispensablement merveilleux (et vice-versa) dictionnaire amoureux de l’inutile, de François et Valentin Morel. Existe en version de luxe illustrée chez Plon et Gründ.
Wilde en supplément d’âme. Je me mords les doigts d’avoir laissé passer entre les gouttes, entre les lignes, cet opuscule publié en juin 2023 par les éditions arléa : « L’âme humaine » de Oscar Wilde. Il compte 72 pages, doit peser deux cents grammes à tout casser et coûte sept euros. Comme je ne peux pas le recopier intégralement, ce qui serait contre-productif pour l’éditeur, je me contenterai d’une cueillette :
Page 66 : « C’est grossièrement égoïste d’exiger de votre voisin qu’il pense comme vous et partage vos opinions. Pourquoi le ferait-il ? S’il est capable de penser, il pense différemment. S’il en est incapable, ce serait monstrueux d’exiger de lui la moindre pensée. (…) Grâce à l’individualisme, les gens seront tout à fait naturels, et résolument altruistes. Ils redécouvriront le vrai sens des mots et s’en serviront dans une existence belle et libre. Ils ne seront pas aussi égotistes qu’aujourd’hui. L’égotiste a des exigences envers les autres. L’individualiste non, puisque ça ne lui apporterait aucune satisfaction. »
En selle avec Garcin. Le 17 janvier est parue aux Equateurs, cette conversation, écho fidèles des entretiens entre Jérôme Garcin et Caroline Broué dans l’émission de France Culture « A voix nue ». Vite, vite, je vous en reparle ici avec enthousiasme. Mais ouvrez le sans attendre. Bref comme s’exclamerait cet amoureux des chevaux, l’un de nos plus grands stylistes, vite, en selle!
Ed. des Equateurs/France Culture, 119 pages, 15€
Bonheur d’avalanche. Cette chance qui est la mienne de ces ruisseaux de livres, ces ‘nouveautés’ comme on dit, qui se comptent par centaines en cette rentrée d’hiver et viennent envahir la loge de ma gardienne puis les recoins de ma maison. Ce bonheur d’un courrier coloré et vivant constitué d’images et de mots imprimés qui frappent à ma porte, réclament asile et le trouvent avec chaleur. Pour chaque volume extirpé de sa gangue, son enveloppe, tout commence par une caresse sur une joue de couverture. Un accueil, un salut. Une bienvenue. Quand je m’occupais d’art, de théâtre et de cinéma, je conservais les plus jolis cartons d’invitation. Ils sont bien au chaud à la maison. Un peu comme la preuve que j’avais vécu ce que j’ai voulu vivre.
Hugues avec un h comme Hasta luego! Hugues Aufray a rempli l’Olympia dimanche 14. Près de deux heures de concert qui s’ouvre avec un hommage à Dylan. La salle debout pour le final sur “Santiano”. L’auteur de “Stewball” et de “Céline” a quatre-vingt-quatorze ans. Quand j’étais moniteur de colonies de vacances, nous braillions et nous pleurions avec les mômes. Ma douze cordes en acier me sciait la pulpe des doigts. Hasta Luego, à bientôt Hugues!
Pol et Mick bis. Qu’est-ce-que c’est encore que cet attrape-couillons tel que notre société désossée du neurone aime tant à en produire? Sylvain Tesson ne serait pas l’idoine personne pour présider le 25eme Printemps des Poètes? Il serait tout à coup pestiféré? Extrême-droitiste? Allons bon, v’là aut’chose. D’extrême droiture, ça oui, en sa quête de la beauté, mais aujourd’hui on se dépêche de tout confondre et de tout noyer sous des flots de placoplâtre et de bêtise (pour paraphraser Jean-Roger Caussimon, cet autre grand poète étouffé par la médiocrité générale: voir la chanson “Nous deux”). Pol et Mick cités au début de ce texte sont encore dans ce (mauvais) coup. Un tout venant de droits dans leurs bottes (méfions-nous-en, justement, des bottes et surtout de leur bruit) s’engouffre dans cette galerie des glaces, chacun bien content tout à coup de n’être plus, leur nom au bas d’une pétition, des anonymes (voir plus haut). Qu’ont-elles, qu’ont-ils contre l’auteur de “La marche dans le ciel” de “La panthère des neiges”, parrain de toutes les “énergies vagabondes”?
L’ont-ils, l’ont-elles, au moins lu?” Qui, d’entre elles et eux, dont des gens qui ont le culot de se définir comme “poètes” (et on les voit d’ici démonétiser ce mot si doux et si puissant en replaçant leur écharpe d’un geste amplement vide sur leur épaule), se sont dressés sur leurs ergots lorsque Tesson a reçu le prix Médicis essai, le Prix Goncourt de la nouvelle, le Prix Renaudot, ou qu’il a été fait chevalier de l’Ordre national du Mérite? Etait-ce mérité tout ça? Ou pas mérité? Scandaleux? Pas scandaleux? Et lorsqu’il a défendu pendant le Covid, sur un bateau clandestinement affrété sur la Seine, ce statut de commerce essentiel ôté aux librairies, personne, à ma connaissance, ne s’est levé pour lui en tenir rigueur. Maintenant nous allons assister au grand n’importe quoi des retombées collatérales, aux récupérations, aux infiltrations empoisonnées, ce vaste brouillage qui abolit le peu de sens qui reste à ce monde. Enfin, c’est ce que je me dis (de plus en plus souvent, certes) quand j’ai des coups de mou.
La bonne nouvelle, car il est nécessaire de finir avec, c’est que ce site accompagne jusqu’au 21 juin, les minutes de lumière en plus. Et les remplacent lorsque les jours diminuent.