Il n’y a pas de hic. Erotique, volcanique, sismique, « Les frénétiques », quatrième roman de la féminine et féministe Adeline Fleury, défait les draps d’un amour incandescent entre deux femmes qui aiment aussi les hommes. L’auteure est présente dès aujourd’hui et jusqu’à dimanche au salon du Livre de Limoges.
Avant d’entrer dans le vif du sujet de ce nouveau roman, son quatrième, auquel il faut ajouter trois essais sur l’univers féminin dont son « Petit éloge de la jouissance féminine », et « Neuilly, village people », une enquête écrite à quatre mains avec Pauline Revenaz sur la faune privilégiée de Neuilly-sur-Seine, intéressons-nous à un détail. Il y a chez Adeline Fleury une tendance intrigante à réduire au plus bref les noms de ses personnages. Voir à s’en passer complètement en se contentant d’un pronom indéfini. Ida, Ada, Eva, Je, Tu, Elle… Comme si un prénom n’était à ses yeux qu’un coup de fouet sur un corps absent. En revanche, ces identités plus sèches que des sarments sont des tuteurs de désir, des pôles d’attraction charnelle, des pièges à tentations, des appels à la foudre. Et c’est ici que tout commence vraiment, que l’inflammable fait son entrée en scène, que les pistes sont faites pour se nouer, se brouiller, les herbes devenir des buissons ardents et le feu, si craint, si espéré, s’égarer en un goût de cendre. Les choses ne se finissent jamais parfaitement bien dans la maison Fleury. Et d’ailleurs, elles ne sont pas faites pour finir bien ou mal. Mais la trace qu’elles laissent n’est jamais près de cicatriser. Si la passion (du latin patio : souffrir) cicatrisait, ça se saurait. Elle continue à bouillir dans la gorge du volcan.
C’est le cas dans ces « frénétiques » : soit l’histoire d’une mère et de son fils, Nino – les deux hommes en premiers seconds rôles, ici, Nino et Guido, ont des prénoms tout aussi courts, – qui se déroule sur une île napolitaine et sous le museau d’un monstre sismique.
Ada, qui vit désormais seule, veut s’y laver momentanément d’une vie sentimentale et sexuelle quelque peu dissolue et qui ne l’a menée nulle part. Mais l’Italie du sud, premier synonyme, dans le dictionnaire des sens, de la libido, est une bonne mauvaise idée et revoilà Ada à dada sur ses démons.
Elle y est aidée par une apparition sortie d’un coquillage botticelllien. Une jeune femme rousse aux cheveux en flots, aux ondulations en flow, nommée Eva et qui carbonise les neurones d’à peu près tout ce qu’elle croise ayant figure humaine. Qu’importe la question du genre. Au début, Ada rue dans les brancards, passez votre chemin mademoiselle, je suis avec mon fils et mon fils emporte tout, mais c’est sa volonté qui est déjà à la rue. Le jour où une vieille italienne l’invite à s’interroger sur un éventuel grand amour qu’elle aurait déjà pu connaître, elle qui s’était « attachée à un homme au point de lui faire un enfant, vibré, joui, des centaines de fois » et notamment dans les bras du dieu Théodore », à la lire le meilleur coup du septième ciel, Ada, guettée au tournant par Eva, doit bien se résoudre à constater que non. Et surtout, qu’il venait d’apparaître, là, à ses côtés, à une poignée de centimètres.
« Les frénétiques » prend son temps pour le devenir. La mer tyrrénienne se charge de faire mijoter ce plat de non-résistance et de saler comme il convient l’aimantation des peaux. Le soleil tourmente la baie. Les petites cruautés d’Eva, qui disparaît parfois dans les bras des hommes, tourmentent Ada. Et la jalousie de Guido, macho sûr de lui qui tourne autour d’elle comme un requin en costard blanc sur son bronzage, carnassier fier de sa carnation, l’inquiète encore plus.
Les pages d’étreinte sont d’une grande beauté, d’une grande vérité. Rien n’est moins évident que raconter l’amour physique, ses caresses, ses souffles, ses assauts, ses retraits, son jeu à cache-sexe, ses extases et leurs écumes. Ces volcaniques passages réveilleront-ils la frémissante lave voisine ? Vous le saurez en lisant ce roman qui vous brûle les mains, vous chauffe le sang, lequel, comme sur un versant d’Etna, n’est jamais à l’abri d’être versé.
« Les frénétiques », de Adeline Fleury, éd. Julliard, 204 pages, 19€
Salon du Livre Lire à Limoges, dès aujourd’hui jusqu’à dimanche. Président, Douglas Kennedy.