Il a 28 ans et la littérature dans le sang. Voilà cinq ans que Timothé Guillotin a fondé les éditions Novice. Et créé en prime le Prix du roman non publié.
Il est fort probable qu’avant même d’être né, Timothé Guillotin révisait déjà ses classiques. Le liquide amniotique dans lequel il baignait était traversé de courants, de sillages, comme une invitation à ces mystérieux voyages au long cours que sont les chefs d’œuvre de la littérature. Pour ce Vannetais qui fêtera ses 29 ans en décembre, c’était écrit : cap sur l’aventure. Il serait éditeur. Après une incursion au théâtre, cet amateur de sommets montagneux qu’il grimpe à bicyclette a fait ses premiers tours de piste parisiens au mythique Pariscope, cet agenda culturel hebdomadaire qui a aujourd’hui déserté les kiosques ; puis il s’est rapproché de l’univers littéraire en intégrant le service de presse du cherche-midi éditeur. C’est en 2019 qu’avec un trio d’amis, il a fondé « Novice », manière de rester humble. Le hasard adorant apporter son grain de sel – le hasard est assez joueur – les locaux de la maison d’édition ont trouvé leur nid Square d’Orléans, dans le neuvième arrondissement parisien. Y habitèrent, pour n’en feuilleter que le chapitre littéraire, Alexandre Dumas père et sa petite famille, George Sand (et Chopin tout près), et où Gustave Flaubert trouva gite et couvert chez son compère de randonnée Maxime du Camp.
Cinq ans plus tard avoir quitté le port, et passée la tempête inattendue de la Covid – il n’est jamais mauvais de débuter par une épreuve initiatique – le voilier “Novice » – ses couvertures d’un très élégant blanc finement cassé, les illustrations efficacement sobres de Mathieu Persan, tient bon la mer et compte à son tour dans son sillage une succession d’ouvrages, romans et essais qui se caractérisent par leur grande diversité de thèmes. Et le prisme est large, de la trajectoire tragique d’Amy Winehouse » (1) à la vie romancée d’une figure oubliée de l’histoire de la Seconde guerre mondiale : Georg Elser, ébéniste, auteur, en novembre 1939, d’un attentat manqué à la bombe contre Hitler (2). La comédie n’est pas absente, à l’image de “L’Apogée”, de Pascal Grégoire (voir ci-dessous), par ailleurs présent dès les prémisses de cette aventure éditoriale. Deux titres explorent chacun sous un angle aussi ambitieux qu’original la grandeur de la littérature française.
Dans « Le grand roman de l’écriture » (1), Pierre Ménard, à qui l’on doit sous pavillon Taillandier « Les Infréquentables » frères Goncourt, a ainsi choisi de descendre en rappel dans la création littéraire, ses méthodes et ses trous d’air, au prisme des anecdotes et confidences moissonnées chez les anciens comme chez les modernes.
De son côté, l’écrivain, poète et musicien Christophe Hardy, par ailleurs président depuis 2020 de la Société des Gens de Lettres (SGDL), s’est lancé dans une alléchante entreprise au long cours et en deux tomes : « L’incroyable destin des héros de roman » (3). Qui sont, d’où viennent, quelle est leur ADN, ces Cosette, ces Bovary, ces Capitaine Nemo, ces Fabrice Del Dongo, ces Arsène Lupin et consorts dont les noms sont, parfois plus que ceux de leurs créateurs, solidement installés au firmament de la postérité ?
Il fallait y penser. Enfin, il fallait y penser aussi, Timothé a eu l’idée d’un prix littéraire du « roman non publié », manière plus câline d’évoquer les textes refusés pour nombre de raisons, lesquelles ne sont pas toujours rationnelles, et parfois sans aucune raison. C’est le cas d’un polar, « L’ombre d’un doute », sous la signature de Cyril Nghiem (5). Le 12 septembre, date de publication de l’ouvrage et pour une cinquième édition présidée par la romancière Amélie Cordonnier, le jury a désigné le premier roman de Kim Hartmann, publicitaire dans le civil, “12, impasse du Prieuré”.
- (1) « Amy pour la vie », de Sophian Fanen, 120 pages, 12,90€
- (2) « Seul face au Führer », de Jean-Baptiste Naudet, 149 pages, 18,90€
- (3) « Le grand roman de l’écriture », de Pierre Ménard, 305 pages, 19,90€
- (4)« L’incroyable destin des héros de roman », de Christophe Hardy, 229 pages, 19,90€. Le deuxième tome sera publié en 2025
- 5) « L’ombre d’un doute », de Cyril Nghiem, 321 pages, 19,90€
Lire également : « Taïwan, la présidente et la guerre », de Arnaud Vaulerin, 145 pages, 18,90€
« Faire la paix », de Jérôme Gautheret et Thomas Wieder, 57 pages, 12,90€
A l’APOGEE DES SOIXANTE PIGES
Décider de fêter ses soixante ans quand on n’est plus l’Apollon des belvédères ; que le corps « se met à l’aise comme une rivière sort de son lit » ; que les amis sont une matière molle sans certificat d’adhérence ; que le restaurant est à Dache (*); que la playlist sera un marqueur au carbone 14 ; que le nombre des invités fait du yoyo; que la Covid va taper l’incruste… C’est la glorieuse mais un poil suicidaire idée de François, par dessus le marché suffisamment lucide pour entrevoir dans cette entreprise le caractère pitoyable d’ultime ruade existentielle.
C’est que le chiffre six a beau être tout en courbes et en déliés, quand il est associé à un zéro il est souple comme un verre de lampe. Gageons sans crainte de nous tromper que Pascal Grégoire n’est pas allé chercher loin le sujet de « L’Apogée ». Ce fils de directeur d’école, qui envisagea d’abord brièvement d’embrasser une carrière dans l’enseignement avant de bifurquer dans la publicité dont il aura batifolé dans l’âge d’or, a versé dans la littérature en 2018 avec « Goldman sucks” : l’histoire d’un David français ruiné par la crise des subprimes et qui s’en va en famille chez le Goliath américain tenter de récupérer ses pépètes. Mais une autre crise couve entre les lignes de cette épopée à la Don Quichotte : celle de la quarantaine, premier carrefour dangereux de la mâle psychologie et prémonitoire de ce nouveau roman.
lci, il faudra Inès, la patiente épouse de notre (anti), héros, pour prouver à François que leur amour n’est pas “en mode avion” et maintenir à flot jusqu’à son terme cette entreprise. Pascal Grégoire a le sens de l’humour et de la formule. Cet “Apogée” nous parle à tous. On devient si vite vieux aujourd’hui aux yeux de la société. Pas besoin d’attendre soixante ans. Champagne!
(*) Très loin, en argot.
« L’Apogée », de Pascal Grégoire, éd. Novice, 152 pages, 19,90€
Commentaire
Évelyne Dress
Comme c’est bon de te lire. Tu nous donnes envie de rencontrer Timothé Guillotin et de connaître ses éditions et ses livres.