Il aurait eu cent ans en mars dernier. Jean-Louis Le Bris de Kerouac, alias Jack Kerouac (1922/1969), père et prince de la Beat Generation, s’est imposé comme le guide le plus inspiré, et le mot est faible, des routards modernes. Gallimard et Seghers nous invitent à lui remboîter le pas sans vraiment toucher terre. Beat the road, Jack !
Tous ceux qui ont pris la route un jouravec trois francs six sous (*) , et même seulement dans leur tête sans fouler le moindre sentier avec trois francs six sous en poche, l’ont forcément croisé quelque part dans leurs pensées ou chez un bouquiniste, voire en écoutant le tube des tubes rythm’n blues sur le sujet : ce ‘Hit the road, Jack’, écrit (sans trop se fouler au vu du résultat) en 1960 par Percy Mayfield et propulsé sur orbite des chansons du siècle par Ray Charles. Jean-Louis Lebris de Kerouac, alias Jack Kerouac, né 12 mars 1922 dans le Massachussetts et décédé 47 ans plus tard en Floride, vient donc de fêter ses cent ans. Notons qu’il partage un point commun avec Sade : tous deux – le premier, hébergé chez un pote, convalescent de sa phlébite à 29 ans après une folle virée dans la vaste Amérique, le second emprisonné à la Bastille – se sont retrouvés au bout du rouleau. Jack pour le tapuscrit de « Sur la route » (désormais disponible en audio dans la collection Ecouter-Lire), rédigé compulsivement en 1951, à 29 ans, à la machine à écrire sur 36 mètres de long et constitué de pages scotchées les unes aux autres ; pour le divin marquis, celui des ‘Cent Vingt Journées de Sodome’ dont on ne saurait confirmer ici qu’il fut manuscrit et ceci pour deux raisons : les rubans ne servaient pas encore à cette activité. Et de toute façon, taper à la machine n’aurait pas été de la plus stratégique intuition cette liberté que je me donne frôle souvent le n’importe quoi, je sais).
Celui qui est devenu le guide des routards aura été le chantre de la Beat Generation qui n’était surtout pas, affirmait Kerouac dans « La grande traversée de l’Ouest en bus et autres textes beat » (1), un ramassis de voyous mais, pour résumer, un esprit de refus, de révolte. Les éditions Gallimard n’ont d’ailleurs pas manqué de rééditer cet assortiment de sept textes, qui tient du mode d’emploi pour écrire de « la prose moderne » auquel sont mêlés des récits d’impressions et de rencontres new-yorkaises. A l’occasion de cet anniversaire, la maison de l’ex-rue Sébastien-Bottin, aujourd’hui rue Gaston Gallimard, fait feu de bois, avec ou sans la guitare de Bob Dylan (*), fan absolu de Kerouac, pour célébrer cet anniversaire. Elle a notamment mis l’accent sur l’aspect bilingue dans lequel on retrouve avec bonheur ce ‘Satori à Paris’, récit primesautier et lubrifié (j’emprunte cette image à Sylvain Tesson que j’écoute en ce moment chez Nagui (il y a toujours des paroles qu’il ne faut pas oublier) par une addiction à quelques accélérateurs de paradis, de dix jours passés à Paris et en Bretagne en 1965.
L’ écrivain élevé en langue française par un papa originaire du Canada y cherche, notamment dans les bibliothèques de la capitale, une trace de ses ancêtres, une légende familiale lui attribuant des origines bretonnes. Après avoir raté son avion, il se rend en gare de Montparnasse et prend un billet pour Brest. Là commence un voyage en compagnie d’un prêtre et, au fur et à mesure que l’atmosphère se densifie, de libations. Ces rails improviseront la feuille de route de ses recherches. Jazz du hasard.
Or le hasard et le jazz, Kerouac n’a jamais cessé de les fréquenter et de se payer avec eux de ces rasades d’une poésie qui allait dans sa tête comme un cheval fou. Voici dans la collection Poésie Gallimard de la nrf les poèmes emballés de ‘Mexico City Blues’ (4) qui semblent danser la gigue sous nos yeux. Ils ont rythmé ses jours et ses nuits en 1955 à Mexico et communient entre eux dans cette espèce d’extase fébrilissime et hypnotique qui conduisait sa plume.
Du côté de sa collection ‘L’Imaginaire’, Gallimard ressuscite un inédit qui ne pouvait trouver meilleure place : il s’agit du « Livre des rêves » (5) , soit deux cents rêves restés jusqu’alors inédits depuis qu’un volume avait été publié en 1971 en France dans une version réduite de moitié. C’est assez fascinant à lire et ça donne envie d’en faire autant. Quoique le brave Jack rêvait vraiment beaucoup et tous ces songes, de tempes en temps titrés et souvent traversés de voies ferrées, sont loin de s’égarer dans les méandres oniriques. Les proches de l’écrivain y jouent plus qu’à leur tour des rôles. Résultat, de toutes ces ouvrages, celui-ci est le plus soyeux, oui c’est exactement ça, soyeux, à lire.
Enfin, retour au bilingue et c’est chez Seghers que l’on se procurera ces « Poèmes dispersés » (6) parmi lesquels ce qui ressemble fort à une allégorie plus qu’audacieuse de l’amour physique, laquelle n’est pas sans faire songer, par son rythme et son malicieux propos à cette chanson érotique, « Les nuits d’une demoiselle », qu’interpréta en 1963 Colette Renard…
Ce poème éblouissant, agité d’images en triple salto, Kerouac l’intitula ‘Cueille ma pâquerette’. Voilà comment il commence.
« Cueille ma pâquerette
Chavire-moi la tasse
Taille-moi dans le sentiment
Pour des noisettes “
(*) ou trois euros six centimes
(*) dont on vient d’inaugurer le musée qui lui est consacré à Tulsa, dans l’Oklahoma. A quand Kerouac ?
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(1) « La grande traversée de l’Ouest en bus et autres textes beat », traduit par Pierre Gugliemina, éd. Folio, 112 pages, 2€
(2) « Satori à Paris », éd. Folio bilingue, traduit de l’anglais (Etats-Unis), par Jean Autret, 239 pages, 10,40 €
(3) « Mexico City Blues », éd. Poésie/Gallimard, traduit par Pierre Joris et Philippe Mikriammos
(4) « Le livre des rêves », coll. L’imaginaire/Gallimard n°736, 372 pages, 14,50€
Également en folio bilingue : « Sur les origines d’une génération – le dernier mot », éd. Folio Bilingue, 153 pages, 9,40€
(5) « Mexico City Blues », traduit par Pierre Joris et Philippe Mikriammos. Préface d’Yves Buin, éd. Poésie/Gallimard n°569, 272 pages, 10,60€
(6) « Poèmes dispersés », éd Seghers bilingue, traduit par Philippe Mikriammos, 160 pages, 14€
« Mexico City Blues », traduit par Pierre Joris et Philippe Mikriammos. Préface d’Yves Buin, éd. Poésie/Gallimard n°569, 272 pages, 10,60€
Carnet « Sur la route », deux formats, couverture noire, titre argent, Papeterie/Gallimard, 16,60€, 13,90€