Au lendemain de cinquante ans de photoreportage, Alain Auboiroux est reparti, son appareil en bandoulière, dans les rues de Paris, saisir la grâce et la surprise du tout-venant.
Il y a des gens pour qui nouer des relations est une seconde nature. C’est un art de vivre qu’ils transportent avec eux comme les peintres qui travaillent sur le vif se promènent avec leur chevalet, leurs couleurs et leur palette. On n’est guère surpris qu’il s’en trouve un certain nombre chez les reporters-photographes. Alain Auboiroux, natif du 14eme arrondissement à Paris est de cette caste-là. Les bacs de révélateur ont été ses fonts baptismaux. Il le sourire en bandoulière et toujours le mot qui va bien. Le sens du silence, aussi, quand c’est nécessaire. Parfois d’ailleurs, il fait retraite. Entre en cellule. Parfois aussi, il ne perd pas de vue son objectif : le reportage. Les moines de l’abbaye cistercienne de Timadeuc, près de Pontivy, dans le Morbihan, lui doivent ainsi non pas une fière chandelle, la maison n’en manque pas, mais un élégant ouvrage en noir et blanc, propre à troubler le mécréant.
Au total, Alain affiche cinquante ans de presse au compteur. Du populaire pur sucre. Il a fait ses armes à Détective – « le type qui était debout la veille était couché quand j’arrivais » -, croqué du people à France Dimanche et Ici Paris, cavalé au Meilleur et à Spéciale Dernière, a été photographe de plateau pour France 3, puis a couru la France et la Navarre pour le Parisien qu’il a quitté il y aura bientôt sept ans au mois d’août. Tout cela en a fait un drôle de paroissien, en empathie avec toutes les strates de la nature humaine. « J’ai connu un nombre incalculable de gens » dit-il en évoquant « les flics et les voyous » et la crème du show-biz et des photos « volées » organisées une semaine à l’avance avec les intéressés. Il a aussi signé des pochettes de disques pour Georges Moustaki qu’il allait voir dans son appartement de Saint-Louis-en-l’Ile. Il connaît le secteur comme sa poche. Son oncle et sa tante y vivaient. C’est d’autant moins un quartier où il ne saurait rester de glace qu’il a connu, gamin, le fondateur des glaces Berthillon.
Puis il a bien fallu quitter le journal. Sauf qu’un journaliste, en l’occurrence ici, un photoreporter, ça ne sait pas battre en retraite. Ils se battraient plutôt contre. A Laure, son épouse, la meilleure moitié de lui-même comme aurait dit l’écrivain et critique Jean-Louis Bory, il a annoncé au lendemain du premier jour du reste de sa vie qu’il reprenait illico son bâton de pèlerin. De Châtillon, il est reparti armé de ses seuls yeux tranquilles (merci Moustaki) et de son Iphone ou de son Leica, trotter au hasard de la capitale.
Ne le cherchez pas dans les beaux quartiers. Il a poussé une fois jusqu’au seizième et n’a rien trouvé à picorer. A Montparnasse, en revanche, où son copain Jean-Claude Drouot lisait des textes sous un auvent, il a fait du jardin du Luxembourg sa flâneuse résidence secondaire. « Je voulais faire un bouquin mais il fallait demander au Sénat, c’était tout un merdier ». Populaire un jour, populaire toujours.
Au fil de ses pérégrinations, ce piéton de Paris photographie tout ce qui raconte le grain de la vie Scénarios d’un instant, regards, silhouettes, collisions de sens, clochards loin d’être célestes mais qui trouvent quelqu’un à qui parler, mariages pluvieux ou mariages heureux. Il agit en sniper, sans demander la permission. Ensuite ça s’arrange. « Elle est jolie votre photo. Vous pourrez me l’envoyer ? ». « Je me suis encore fait un copain » dit-il à Laure en rentrant le soir. Ce qui, en près de vingt-cinq-mille photos, finit par faire du monde.
Prochaine exposition :
Objectif Bastille, 11 rue Jules César, 75012 Paris.
Du 27 mai au 29 Juillet 2021.
Commentaire
eric giacometti
Magnifique. Je vais y faire un saut. Alain, tu me bluffes... Merci pour ce partage, Pierre.
Ulmann
Au clair de la lune mon ami Pierrot je t'écris un mot pour dire que tu portes haut, très haut les plumes des poètes, tes […] En savoir plusAu clair de la lune mon ami Pierrot je t'écris un mot pour dire que tu portes haut, très haut les plumes des poètes, tes frères, et tout ce qui s'en suit. En regardant la photo d'Alain Auboiroux (quel joli nom), je me dis comme ça que desminutesdelumièreenplus enjambe les murs pour nous faire danser entre les lignes de partage des mots. Merci Read Less