Bienvenue en son Paradis

Dans « Le Nouveau Monde », illustré par Margaux Motin, Anaïs Vanel égrène images et sensations par petites touches impressionnistes. Le tout pour raconter un périple initiatique de 6639 kilomètres au Mexique.

Dès son exergue en forme de dédicace, l’ouvrage annonce la menace d’une fin programmée mais… adoucie par un baume de recommencement : « A tous les peuples oubliés qu’il nous faudra bientôt humblement écouter », écrit sobrement l’auteure. Sous-entendu, lorsque nous aurons été suffisamment inconséquents aux équilibres du monde, oublieux de la patience et de la beauté, épuisés de courir sur une terre épuisée de nourrir, il faudra bien se résoudre à retrouver la source des choses, à y laver son regard et se plier à l’humilité. C’est un autre voyage qu’il faudra reprendre, mentalement et physiquement : la découverte de l’inconnu, cette poésie ambulante, et l’ouverture d’esprit, ce rajeunissement de l’âme. C’est sur ces chemins d’abandon à l’inconnu qu’elle nous guide.

“Je suis désormais vierge

de tout savoir.

C’est ainsi que se reboise

la mémoire.”

A feuilleter le volume au hasard, « Le Nouveau Monde », discrètement illustré par Margaux Motin, a toute l’apparence d’un recueil de poèmes. Mais il y a un chemin à suivre. Et pour cause, son auteure, Anaïs Vanel, ex-éditrice de bande dessinée qui a quitté il y a quatre ans, de but en blanc, une réunion de travail pour prendre la direction d’Hossegor (*) et surfer sur une autre vie que la sienne jusqu’alors, nous raconte sur 300 pages et 6639 kilomètres son périple au Mexique.

“Mexique,

où l’amour

panse les plaies

des traumatismes passés.

Où tout a repoussé

sur le sang versé.

Où un peuple blessé

se cherche dans la gaieté.”

Couverture Le Nouveau Monde

Par pincées, par petites haltes, par sensations, elle fabrique un herbier d’images et de rencontres, d’écoute et de douce imprégnation.

« Au pays de l’oralité,

les mots sont multiples,

infinis et brouillés.

La subtilité

Réside dans la clarté

Que l’on y met.”

A la pointe de son stylo plume en bois de noyer, elle reconstitue la mosaïque toujours recommencée des émerveillements simples propres à attiser constamment, jour et nuit, les cinq sens. Une salsa verde (recette de sauce verte) dans un petit restaurant, des fourmis sur ses claquettes, la lagune de Maniatelpec, une maison qui s’appelle El Origen, les fruits qui sont des surnoms (“fresa si on a des manières de bourgeois, mango si on est beau”), le soleil qui se couche sur les herbes roses, les allées du marché d’Oaxaca, territoire absolu de l’égarement, l’arbre Ceiba « qui relie les trois mondes : souterrain, terrestre et céleste”, les cinquante-neuf lacs du parc de Montebello, tous magiquement reliés les uns aux autres… Et comme ça tout le long.

Sur la Sierra Juarez, elle dit qu’ 

«il n’y a rien à dire,

il faut la ressentir,

voir ses villages perchés,

ses cascades couler

ses montagnes vibrer.

Il faut se trouver là,

muet

ou murmurer seulement,

que l’origine du monde

s’y trouve possiblement »

L'une des illustrations de Margaux Motin
L’une des illustrations de Margaux Motin

Enfin, même si, murmure Anaïs au détour d’une page, regarder très au loin invite à se rapprocher de nos ombres secrètes – “le vrai voyage est celui que j’ai dû faire en moi-même” – son récit n’est pas un éloge radical de la solitude. Il est de temps en temps habité, à ce qu’on y devine, d’étreintes et de baisers. Car la beauté se porte aussi très bien le mieux du (Nouveau) monde quand elle est partagée.

(*) Ce qu’elle évoque dans « Tout quitter », son premier livre paru en 2019 chez Flammarion

« Le Nouveau Monde », de Anaïs Vanel, illustrations de Margaux Motin, éd. Flammarion, 302 pages, 21€

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