L’œuvre au noir de Christophe Naigeon

Véritable épopée historico-romanesque qui voyage au gré des continents dans l’entre-deux guerres sur plus de 500 pages et baigne dans les effluves de jazz, ce deuxième livre de Christophe Naigeon célèbre la négritude et la liberté. Du très grand souffle.

Les premières lignes d’un (bon) roman portent toujours son ADN. Elles traduisent à la fois cette forme de rage souterraine, patiente ou non, qu’y infusera son auteur. Elles donnent le tempo d’un rythme (ici on est doublement servi, vous allez voir pourquoi). Et quand elles confirment la présence d’une voix neuve dans le paysage, c’est tout bénéfice. C’est le cas de Christophe Naigeon pour son entrée dans le roman par la grande porte. Il était déjà l’auteur de « Liberia », paru en 2017 aux éditions Tallandier. Il y était question de Julius Washington, inspiré d’Augustus Washington, journaliste-photographe afro-américain, figure de proue de l’abolitionnisme, et créateur de l’état du Liberia dont le nom signifie « Terre de liberté ». Le livre n’était déjà pas une petite chose. Cinq cent-trente pages. Idem pour ce « Mamba Point Blues » qui plonge cette fois dans le coeur battant de l’art romanesque, une sorte de somme à l’ancienne, menée au pas de charge du présent (ce qui n’est pas le plus facile quand on s’embarque dans pareille aventure).

La première page n’est pas tournée qu’on y éprouve cette densité singulière, de celles qui saisissent le visiteur lorsqu’il accoste par exemple, pour rester sur le continent, aux îles de Sein ou de Molène. On y respire un bon coup, on y gonfle ses poumons comme deux voiles et allez hop ! Retour sur la vague pour un voyage qui ne sera pas une croisière Costa.

Christophe a passé plus d’un quart de sa vie en Afrique, le nez sur les guerres civiles. Il vit aujourd’hui dans les plus soyeux du Morvan. C’est plus calme mais c’est comme Félix Potin, l’Afrique, il y revient. A son histoire complexe, son abolitionnisme aux effets pervers, son rapport tordu avec l’Amérique lorsqu’à un moment donné lorsque les nouveaux esclavagistes n’ont pas été ceux qu’on pourrait croire. Son personnage central s’appelle Jules Canot, dont l’arrière-grand-père n’était autre que…Julius Washington, évoqué plus haut. Lequel avait baptisé sa maison Mamba Point. Quand à ce nom, Canot, Jules aurait pu s’en passer. Laissons mijoter le suspense à ce sujet.

Christophe Naigeon. Photo Bruno Klein
Christophe Naigeon. Photo Bruno Klein

Le jazz est l’autre versant du roman. Jules, ce jeune Sénégalais bien élevé qui fut pensionnaire chez les Pères blancs, joue du djembé comme personne. Il l’a appris sur l’île de Gorée, à Dakar. Jules a servi de combattant-interprète pour ses camarades américains lorsque le régiment 369eme régiment d’infanterie s’est retrouvé en France en 1918. Il a connu la terre sanglante des tranchées de l’Argonne et en est revenu blessé. Le voici en Alsace , à Bitschwiller, où il y rencontre Sigrid, épouse d’une gueule cassée, et en tombe amoureux. Mais les chances que le couple dure sont assez nulles à une époque et sur un territoire où, « quand on vient de Colmar ou de Mulhouse, on est un étranger ». De fait, l’affaire de cœur capote et Jules ne l’oubliera jamais. Le passage où Sigrid reparaît, au milieu du livre, via l’écrivain Graham Green, donne lieu à un moment poignant du récit.

Jules est « totalement noir » a-t-il précisé à Sigrid, c’est-à-dire sans mélange de blanc. Et il n’est pas nécessaire de s’attarder sur la couverture, signée Hervé Gergaud, pour comprendre que la condition noire – un prélude en forme de glossaire est là pour le confirmer- est le vecteur d’une cavaleuse et, à sa façon, belmondesque aventure humaine.

Car Christophe Naigeon, pour avoir certainement souvent eu peur en sa qualité de témoin de violences et d’exactions diverses, n’a visiblement plus rien à craindre en matière d’ambition romanesque. Et ce « Mamba Point Blues » est une sorte de Grand Huit d’action et de dialogues, mâtiné de voyage dans le temps, qui se débrouille pour faire pétiller dans son étourdissant shaker la mémoire de l’écrivain Graham Green, on l’a dit, arrosée des standards de notre toute récemment panthéonisée Joséphine Baker. Laquelle, dans la phase des années folles, de New-York à Paris, du Cotton Club à la Closerie des Lilas, est comme en chair et en plumes sous nos yeux.

Bon, nous allons nous arrêter là. Il y a trop à dire. Courez plutôt au port de la librairie la plus proche et prenez votre billet pour l’épique « Mamba Point Blues » qui vous en fera voir, en noir et blanc, de toutes les couleurs. Un dernier mot : les amateurs de jazz trouveront, à la toute dernière page, la ‘play list’ dans laquelle baigne ce récit emporté.

« Mamba Point Blues », de Christophe Naigeon, éd. Les Presses de la Cité, 535 pages, 21 €

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