Fallet pas l’inviter !

L’auteur de « Paris au mois d’août » et de « La soupe aux choux » revient nous chatouiller la plante des pieds de l’impolitiquement correct au prisme de la publication d’un inédit : son « Journal de 5 à 7 ». Du rebrousse-poil mais pas du rebrousse-pages.

De René Fallet, plusieurs choses que voici et en vrac sont à rappeler :

Qu’il est né le 4 décembre 1927 à Villeneuve-Saint-Georges et mort le 25 juillet 1983 à Paris.

Qu’il était le bon copain de Brassens. Et d’Antoine Blondin.

Qu’il a écrit un roman bien triste, et le mot est faible, sur l’amour. Ca s’appelle « L’amour baroque ». Numéro 4014 au Livre de Poche. Si vous voulez un bon coup de sabre au moral, il faut le lire. Du moins une fois que vous vous le serez procuré. Tout se mérite.

Qu’il a écrit un roman bien moderne (sur l’amour, toujours, on ne se refait pas) et au titre tout à fait charmant : « Comment fais-tu l’amour, Cerise ? »

Qu’il a écrit un paquet d’autres romans.

Qu’il était poète.

Qu’il aimait le foot et le vélo.

Qu’en amoureux de la bicyclette, il ne supportait pas les faux cols et avait une bonne descente.

Que le cinéma a rendu ultra célèbres d’autres de ses œuvres romanesques. Par ordre d’apparition sur l’écran : « Porte des Lilas », de René Clair (1947) ; « Paris au moins d’août », de Pierre Granier-Deferre (1966). Pour ce livre, Fallet a reçu le Prix Interallié en 1964; La soupe aux choux », de Jean Girault (1981).

Qu’il a scénarisé Fanfan la Tulipe.

Qu’il avait des lunettes et une moustache.

Qu’il était du Centre (de la France). Bourbonnais sans glace.

Sinon, politiquement, qu’il était “anarchiste tendance essuie-glaces, de gauche à droite » selon qu’on abusait, à ses yeux, d’un côté ou de l’autre. (Chez Jacques Chancel).

Qu’il penchait plutôt du côté d’un Paul Léautaud et ou d’un Jean Carmet que de celui d’un Jean d’Ormesson ou d’un Paul Guth. On s’en doutait.

Qu’il fumait beaucoup.

Qu’il eut les entrailles en mauvais état.

Qu’il était partisan de l’indulgence. Mais pas de la gentillesse. (Encore chez Jacques Chancel).

Qu’il ne croyait pas du tout « à la fraternité universelle » (Chez Jacques Chancel, toujours).

Qu’il était mal dans ses pompes dans ce monde.

Qu’il pouvait être acerbe, cynique, explosif. Une sorte de Jules Renard qui ne maîtrisait pas toujours la dose de poudre dans son canon. Mais il retournait très souvent l’arme contre lui.

Edition Livre de Poche 1974 de L'Amour baroque. N°4014.
Edition de poche de l’Amour baroque. 1974. N°4014

La preuve avec la belle, l’excellente, la pétaradante surprise qu’est ce « Journal de 5 à 7 » courant de 1962 à 1983, jusqu’ici inédit, et préfacé par l’écrivain et journaliste Philibert Humm qui nous cache une vérité pourtant criante : il est l’enfant caché de Fallet. Son fils très spirituel. « Il était, écrit-il, le savoir-vivre à pleins poumons. Fallet a bouffé, baisé, fumé comme ce n’est pas permis. A 55 ans, on lui a présenté l’addition. Angine de poitrine, merci bonsoir. Il a payé et s’est levé de table. On ne l’a plus revu. » Et plus loin enfin : « Son journal  comme son œuvre regorge de coups de sang, de coups de chaud, de coups d’amour et de coups dans le nez. »

Convenons avec lui que c’est terriblement juste. Et le mot « terriblement » n’est pas choisi au hasard.

Ce papier ayant débuté à petits coups de hachoir, la fin en sera de même. Extraits saisis au vol de ce « Journal de 5 à 7 ». J’en propose donc d’abord cinq. Et pour faire bonne mesure, deux de plus.

10 novembre 1964. A l’école, mon prof Jacquelin m’avait traité de « crétin distingué ». Je ne l’ai pas oublié. Crétin, bon, mettons. Mais distingué ?

2 décembre 1964. Mon enfance ne m’intéresse pas, ni mon triste état d’adulte. Je ne  considère avec tendresse que le jeune homme que je fus et qui m’a planté là. Je n’ai «chanté » que mes vingt ans.

18 janvier 1966 (à propos de « Paris nous appartient » de Jacques Rivette). De l’indigence et de la nullité considérées comme deux des beaux-arts. Cela doit être destiné à des élites qui ne peuvent pas même comprendre le plus bas des films de Fernandel. Et ça dure deux heures.

7 mai 1966. Le danger du Bourbonnais, pour moi : les analphabètes et les folkloriques me tiennent, ici, pour un grand écrivain. Et pour cause, ils n’en ont jamais vu, jamais lu d’autres. (…) Paris me remet à ma place.

25 janvier 1968. L’autre jour, je dis à Brassens, en le quittant:

-Si tu t’emmerdes appelle-moi.

Il me répond du tac au tac:

Bon, je t’appelle dans cinq minutes.”

11 janvier 1970. Le roman psychologique, ce n’est pas difficile. Tout embrouiller, se contredire, se répéter. Je suis un Proust à l’état sauvage.

9 décembre 1974. Tout comme la peinture, il existe une littérature en bâtiment.

Fallet? Fallet pas l’inviter! Mais le lire est très conseillé.

«Journal de 5 à 7 », de René Fallet, éd. Equateurs, 456 pages, 21 €

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Commentaire

  • Pascale Bretagnolle-Charbonneau

    9 novembre 2021 at 12h03
    Reply

    Commandé 2 exemplaires, en urgence !

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