Sorti en janvier dernier, « Le médecin, la liberté et la mort », signé de l’écrivain et médecin Denis Labayle, qui prône une nouvelle éthique pour l’accompagnement des citoyens en fin de vie, était un peu passé sous le boisseau. Le sujet revenant au grand jour par décision présidentielle, ce passionnant document mérite d’apparaître au grand jour dans le débat.
Denis Labayle, qui collabore dans ces ‘Minutes de lumière en plus’ à notre rubrique L’Invité(e), est l’auteur de nombreux essais, récits, romans et recueils de nouvelles (« Pitié pour les hommes », « Rouge majeur », « Dans les pas du fils », « Nouvelles sur ordonnance ». Il a consacré, comme le laisse deviner en forme de clin d’oeil le titre du dernier ouvrage cité, sa vie à la médecine. Il a notamment exercé pendant 25 ans les fonctions de chef de service au centre hospitalier Sud-Francilien d’Evry.
Cette vocation à s’occuper de ses semblables, les écouter, les réparer, apaiser leurs souffrances et leurs inquiétudes, l’a plus d’une fois conduit en leur compagnie à l’ultime frontière de leurs craintes : le lâcher-prise sans retour. Et là, plutôt que faire machine arrière, s’en remettre à cette tendance générale consistant à s’en laver l’âme et les mains, conduite par la loi française, mais pas seulement – la puissance ecclésiastique y a toute sa part – le praticien s’est rangé à cette certitude qu’un médecin était avant tout un humaniste et que son premier devoir était d’ouvrir les yeux sur une morale commune qui réclamait de les fermer. Au sacro-saint serment d’Hippocrate, il a ajouté un codicille : « j’accompagnerai mes malades jusqu’à la fin de leur vie et je respecterai leur choix. » Ce n’est pas uniquement, insiste-t-il en substance, comme c’est le cas dans une tribune publiée le 15 septembre dernier sur le Monde.fr, une question de dignité mais de liberté. »
Dans les années 80 et l’arrivée dans le paysage, sous l’impulsion, rappelle-t-il, de la psychologue Marie de Hennezel, des soins palliatifs, Denis Labayle était déjà sur le pont. Il a mené depuis ce combat sans faiblir, David contre Goliath, vent debout contre les hypocrisies, les vade retro satanas des ‘professionnels de la profession’, tel que cinéaste, disparu le 13 septembre après avoir réclamé une assistance au suicide, nommait le milieu du cinéma, les insultes, les menaces de mort (« on va t’euthanasier »), les voltes-faces médiatiques, les manifestations de mépris à son égard, les attitudes des politiques peu disposés à faire bouger les choses. Il a aussi révélé, dès 2001 dans une enquête qui lui aura demandé trois ans, la décrépitude et le cynisme, mamelles d’un lent « pourrissement » des organismes privés chargés d’accompagner le vieil âge : le livre s’appelait « La vie devant nous ». L’ouvrage a connu à l’époque un vrai retentissement médiatique avant qu’un oreiller de silence ne s’empresse de l’étouffer.
Déterminé à aller jusqu’au bout de ses convictions, Labayle, qui est à l’origine du manifeste des 2000 soignants ayant reconnu avoir aidé des malades à mourir, ne s’en est jamais caché : il a transgressé plusieurs fois la loi en aidant, avec l’autorisation des familles, certains patients à franchir le fleuve noir. Cet aveu, il le fait une nouvelle fois dans son nouveau récit, « Le médecin, la liberté et la mort », au sous-titre on-ne-peut plus explicite, paru en janvier de cette année : « Pour le droit de choisir sa fin de vie ».
Dans ce récit, édifiant et passionnant par ses constats toujours soigneusement étayés, chiffrés, ses anecdotes parfois croquignolettes (son échange télévisé, par exemple, avec l’ancien ministre Bernard Debré), Labayle ne manque pas s’étonner de ce que la France, pays des Droits de l’homme, « république fière de sa laïcité inscrite dans la Constitution, « campe sur des positions conservatrices » alors que « tous les pays frontaliers de l’Hexagone, du nord au sud, ont pris position pour le droit des citoyens à choisir leur fin de vie. » La France, sur ce sujet, semblerait exceptionnellement très disposée à retrouver son apparat de fille aînée de l’Eglise…
Or, en parallèle à une mise en évidence publique de l’épuisement des personnels hospitaliers – le Covid aura eu au moins un côté utile – la question du suicide assisté s’installe sur le devant de la scène, fortement relayée, la semaine précédente, par la décision du président Macron d’organiser un « Convention citoyenne » en octobre.
Passé sous le boisseau des médias – certaines invitations sur des plateaux annulées sans motif au dernier moment – « Le médecin, la liberté et la mort » s’apprête, lui, et c’est justice, pour de bon, à commencer sa vie.
« Le médecin, la liberté et la mort » – Pour le droit de choisir sa fin de vie », éd. Plon, 244 pages, 19€