Douze petits discours avec un grand dessein

En douze discours, constats d’échec d’un monde qui n’est décidément pas parvenu à se rendre meilleur, « Le Musée des contradictions », de Antoine Wauters, aux éditions du Sous-Sol, se refuse, en forme d’ultime avertissement, à déposer le bilan et laisse passer entre les lignes une ardente lumière. Un rugueux petit chef-d’œuvre de sens et d’écriture.

Il y a des livres qui sont à la fois des tragicomédies, enfin, plus tragiques que comiques, voire pas comiques du tout. Des tragi-tragédies, mais qui pèsent à peine le tragique, parce qu’elles s’obstinent en sous-main, entre les lignes, à se dire que si tout est détruit rien n’est encore perdu. Elles sont alors comme une libellule posée sur un roseau ou sur votre épaule, ce qui apparaît sensiblement la même chose. Sauf que le roseau s’est fait une spécialité de résister aux tempêtes.

« Le musée des contradictions », d’Antoine Wauters, de nationalité belge, la quarantaine fraîchement passée et récemment récompensé des exigeants prix Wepler et prix Marguerite Duras, appartient à cette non-famille de récits. Il est constituée de douze petits discours qui nourrissent malgré tout, pour quelques-uns, un grand dessein : essayer de conserver un peu d’espoir là où le destin lui-même n’a plus l’air d’y croire. Cet ensemble cotise à un anarchisme régénérant : une sorte d’hydromel taquin versé dans un style et un propos qui ne sont pas de la petite bière de littérature. Les deux s’en allant main dans la main comme la fleur au canon du fusil.

L’auteur, accompagné de ses fantômes, bande de potes surgis du tout-venant, rescapés d’on ne sait quelle apocalypse qui n’a pas tout à fait fini le travail, établit entre les lignes un constat d’échec en suspension (voilà ! j’ai trouvé, aucun livre comme celui-ci ne décrit aussi justement l’échec en suspension qui est l’autre versant de l’âme). On croirait des âmes errantes qui nous parlent à l’oreille. Voyons d’où viennent ces discours.

Antoine Wauters. Photo Bénédicte Roscot
Antoine Wauters. Photo Bénédicte Roscot

Il y a celui d’une « troupe en pyjama ». Celui du « haut séquoia ». Celui d’ « une joie revenue de loin ». « Celui d’une « douleur sans nom »… Dans le tout premier de ces quatre-là, il est question d’un commando de patients évadés de l’Ehpad des Six Myrtilles et ses flans à la vanille. Leur fuite à pied sur des sentiers aux caillasses épuisantes, dans un froid qui troue la joue et dévisse les dentiers, transporte aussi une histoire d’amour, celle du narrateur pour Lucia. Il y a bien sûr un petit hic, une broutille, comme dans la chanson Madame la Marquise. Ici, c’est l’oubli, « une seconde mémoire », comme une balançoire, qui a mission d’espoir.

« Discours d’au-delà du Mur » met d’entrée le turbo. Six femmes, qui ne croient plus au « système », ne le « supportent » plus, se désolent ouvertement d’avoir mis leurs enfants au monde: « Excusez-nous. Nous n’avons pas commis le pire, mais nous n’aurions pas dû faire ça. Nous voulions un horizon pur, où l’être de leur être serait heureux, où rien ne s’effondrerait. Un monde habitable. » Manque de pot. « Nous savons que le monde se détraque. Et nous le savons parce qu’en nos nerfs il se détraque aussi. D’autres incendies, d’autres bateaux qui sombrent, d’autres réchauffements, d’autres tsunamis. Sa maladie se rejoue en nous, en plus petit (…) ».

Dans « Discours d’un pays rétréci », autour de la tombe d’une aïeule dont on ne sait rien sinon que sa maison fut le dernier refuge des gestes simples du bonheur – cueillir les groseilles, laver les poireaux – le porte-parole de ses descendants, affublés d’un protège-nez, débriefe un présent en lambeaux : « on cherche la direction de la vie. Sa localisation. Quelle voie ? Quel ciel ? Où est-elle, hein ? Derrière quelles oreilles pleines de poils se trouve la putain de direction de la vie, Mamy ? »

Se moquera-t-on si j’écris ici que j’ai souvent pensé à, en isant, à ce titre écrit par Philippe Labro, « Poème sur la Septième », qu’interprète Hallyday sur la musique de la 7eme Symphonie de Beethoven. « Qui a couru sur cette plage ? (…) Qui a nagé dans cette rivière ? »… Il y a de ça dans « Le Musée des contradictions », et ces contradictions restent des combats, une collection de chants qui ne se veulent pas se résoudre à être désespérés. Ils figureront désormais sur mes étagères parmi les chants les plus beaux, les plus humains derrière leur ardente griffure, qu’il m’a a été donné de lire depuis longtemps.

« Le musée des contradictions », de Antoine Wauters, éditions du sous-sol, 106 pages, 16€

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