Verres en prose (1/3)

Cette rentrée dite « d’hiver » ne pouvait s’achever sans qu’on ait trinqué aux livres forts en degrés de trois auteurs aux univers et aux styles radicalement différents. Avec Daniel Picouly, Jean-Marie Gourio et Jean-Pierre Ancèle, talentueux nouveau-venu qui tient son rang (de vigne), voici trois exercices littéraires à lamper sans modération.

C’est un pléonasme, un truisme, une tautologie, que de le rappeler constamment : Jean-Marie Gourio, journaliste (il a dirigé la rédaction de Charlie-Hebdo), écrivain – il est l’auteur de plusieurs romans – s’est fait un nom avec cet exercice marathonien consistant à écouter non pas aux portes, mais au bar des bistrots de France. Il en a tiré, à la pression, ses fameuses « Brèves de comptoir », adaptées au théâtre et au cinéma, et qui ont contribué, à la fortune du pot, à le rendre millionnaire. L’esprit du vin, Jean-Marie connaît. Mais il a aussi le sien, qui se distingue par un univers aussi poétique que tendrement désenchanté. Mais toujours fort en degrés. C’est particulièrement le cas avec ce « 2 grammes 40 » qui pourrait bien lui valoir, si tant est qu’on le crée un jour, le Grand Prix du Roman de la Sécurité Routière. Il s’agit d’un drame. Pedro Da Silva, maçon de son état, 54 ans, marié, trois enfants, réputé pour être un bon père de famille, « plutôt calme et gentil », et loin d’abuser de l’alcool, a foncé à plus de cent à l’heure, en ville, dans un arrêt de bus. Bilan, trois morts : une femme et ses deux enfants : Valérie, 28 ans, Amandine, 3 mois et Lily Rose, six ans. Le chauffard avait deux grammes quarante d’alcool dans le sang.

Jean-Marie Gourio (à gauche) en compagnie du patron du Seize, Guillaume, rue Pastourelle à Paris.
Jean-Marie Gourio (à gauche) en compagnie du patron du Seize, Guillaume, rue Pastourelle à Paris.

Sans compter deux victimes des retombées collatérales : le patron du Grenadier, le dernier établissement dans lequel Pedro a fait halte avant de partir sur un chantier, acceptant une coupe de champagne pour la naissance d’un bébé, le tout sans manifester le moindre évident signe d’ivresse qui aurait pu l’interdire de consommation, et son épouse. Les voici tournant en boucle à la télé, visités par les journalistes, voués aux gémonies de la vindicte populaire, accusés d’homicide involontaire, puis eux-mêmes menacés de mort. De toutes les manières, un désir brouillon de vengeance fait tache d’huile. Et cette petite ville où il ne se passait rien d’autre que le temps se transforme en furieux volcan. 

Ce livre de l’auteur de « L’eau des fleurs » et du « Contraire de l’Habitude », qui vit à Talloires, sur les rives du lac d’Annecy, est une entreprise courageuse parce qu’elle va fouiller partout dans la nature humaine, ne se préoccupe pas un instant de rassurer qui que ce soit en sa conscience ( « voilà quelque chose qui ne pourrait jamais m’arriver ») et raconte comment s’instaurent les tribunaux du tout-venant, capables d’ajouter une tranche de tragédie à une situation qui en était saturée.

« 2 grammes 40 » s’achève cependant, et c’est un tour de force, sur une note tout à fait crédible de pur apaisement. Un moment tout aussi prégnant que l’histoire où la dimension humaine s’offre une rédemption nécessaire. Comme un pardon pour tout un chacun. 

 « 2 grammes 40 », de Jean-Marie Gourio, éd. Bouquins, 191 pages, 18 €

A SUIVRE : (2) « Au rendez-vous des Pas-Pareils », de Jean-Pierre Ancèle, éd. Phébus, 212 pages, 18,50€

(3) « Les larmes du vin », de Daniel Picouly, éd. Albin Michel, 314 pages, 19,90€

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