Indéboulonnable Montaigne

En instruisant, dans un récit qui se lit d’une traite, le procès virtuel de Montaigne, Jean Rouaud dit avec une virtuosité gaillarde et poétique la pertinence inoxydable de la pensée du philosophe dans l’hypocrisie et la cruauté de notre monde.

Par Jean-Michel Ulmann

Au socle de sa statue qui fait face à la Sorbonne devraient être gravés ces mots : « Montaigne -1533-1592- écrivain contemporain ». La coïncidence entre la sortie de “Juge de Montaigne – une tragi-comédie”, de Jean Rouaud, et l’actualité, en fait la cruelle démonstration.

Dans cet essai fort en degrés qui s’avale cul-sec, c’est le Montaigne « se refusant à lui-même l’ivresse de la vérité au nom de laquelle on ne fait aucun quartier » que le lauréat du Prix Goncourt 1990 pour « Les Champs d’honneur » défère au tribunal de l’esprit. Sans toutefois ériger une stèle au philosophe, l’ouvrage est un rendez-vous avec un honnête homme mobile, tantôt fringant voyageur, tantôt gentilhomme éclairé, modeste, courageux et, avant tout, libre à une époque où ce mot n’était pas galvaudé par les réseaux d’insoumis assistés. Montaigne vu par Rouaud est un homme au présent.

Ouvrir cet essai d’une centaine de pages, c’est donc embarquer en TGV sans arrêt jusqu’à destination. Rouaud vous embarque dans son écriture effrénée qui fracasse le temps et l’espace.

Jean Rouaud. Photo Corinne Liger.
Jean Rouaud. Photo Corinne Liger.

Arrive le temps de l’instruction, celui du face à face entre Montaigne et son juge. Rouaud compose alors un dialogue policier, panachant morceaux choisis, répliques versifiées, voix-off du chroniqueur. Virtuose exercice. Alors que les guerres de religions – il y en eut huit entre 1562 et 1598 – voient catholiques et protestants s’étriper de grand cœur au nom de la « bonne foi », Montaigne négociateur lucide, refuse de prendre parti. Avocat de ce diable d’homme Rouaud imagine alors une disputation de haute volée. Avec débats collatéraux sur notre époque et nos us et coutumes. En dénonçant la neutralité engagée de Montaigne. C’est bien le procès de notre époque, de ses fanatiques, de ses fous de Dieu qui est instruit ici. Celui des guerres de religions, leurs cortèges de massacres miséricordieux en pleine époque humaniste, résonnent cruellement avec les tartufferies humanitaires de notre époque. Le Montaigne de Jean Rouaud lance un formidable manifeste humaniste. Cet essai sera transformé s’il vous fait lire Montaigne. Quant à la statue devant la Sorbonne, elle n’est pas près d’être déboulonnée.  

« Jean Rouaud juge de Montaigne. Une tragi-comédie ». Editions Seghers, 106 p, 15€.

 A lire également, du même auteur, aux éditions Grasset : « Qui terre a , guerre a », paru le 9 mars. 174 pages, 16,50€

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